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Il était une fois l'agriculture
Il y a environ 8 500 ans, des populations en provenance du Moyen-Orient sont arrivées en Grèce et dans le sud de la Bulgarie. Dans leurs bagages, quelques graines de blé, d’orge et d’autres végétaux comestibles. Marchaient avec elles quelques étranges animaux qui, au lieu de fuir les hommes, les suivaient docilement. Sans le savoir, ces gens à la recherche d’un endroit où s’installer allaient déclencher l’un des plus fascinants bouleversements qu’ait connu l’Europe : l’implantation de l’agriculture et de l’élevage.
Une transition, appelée néolithisation, s’est alors opérée : on est passé du Mésolithique au Néolithique, d’une Europe peuplée de communautés vivant de la chasse, de la pêche et de la cueillette à une Europe agricole. Une profonde transformation culturelle, bouleversant tout le système de croyances antérieur, est associée à cette évolution.
Une période de transformation culturelle
C’est à travers cette transformation culturelle qu’une équipe internationale a voulu aborder la néolithisation de l’Europe. Menée par des chercheurs CNRS du Center for International Research in the Humanities and Social Sciences (Cirhus)1 et du laboratoire De la Préhistoire à l’Actuel : culture, environnement, anthropologie (Pacea)2, cette équipe a réalisé une étude unique sur les parures : colliers, pendentifs et autres ornements.
les parures servent
à transmettre
des messages
sur l’affiliation culturelle et
sociale de celui
qui les porte.
Pourquoi ces objets ? « Dans toute société, les parures servent à transmettre des messages sur l’affiliation culturelle et sociale de celui qui les porte. Ces messages ne sont compréhensibles que par des individus partageant les mêmes valeurs », explique Solange Rigaud, chercheuse au Cirhus. Ainsi, les objets de parure montrent la transition culturelle liée à la néolithisation. Les chasseurs-cueilleurs mésolithiques avaient coutume de s’orner de dents de cerfs, sangliers et autres mammifères, de coquillages ou de petits galets perforés. Puis, les fermiers s’imposent peu à peu. Eux préfèrent les parures composées de perles tubulaires, aplaties ou sphériques qu’ils taillent et polissent à partir de minéraux, d’os et de coquillages.
Dans cette recherche, publiée dans Plos One le 8 avril 2015, les chercheurs ont recensé 224 types d’objets de parure provenant de 437 sites archéologiques appartenant à 48 cultures mésolithiques et néolithiques différentes et localisées dans toute l’Europe. L’analyse de ces ornements datés d’il y a entre 8 000 et 5 000 ans et de leur distribution géographique permet de visualiser l’avancée de l’agriculture, mais aussi ses points d’achoppement. En effet, la conquête de l’Europe par les agriculteurs n’a pas été un phénomène homogène et linéaire. Les parures montrent notamment que l’accueil fait à ce nouveau mode de vie varie entre le Nord et le Sud. Sur le pourtour méditerranéen et en Europe centrale, la néolithisation s’impose relativement vite. En revanche, dans le Nord de l’Europe les populations ne changent guère leur mode de vie, comme le montre leur refus à toute introduction d’objets de parure nouveaux. Durant plusieurs siècles, les peuples du pourtour de la mer Baltique ont résisté à la néolithisation.
Une implantation de l’agriculture par à-coups
Dans les années 1970, de nombreux préhistoriens imaginaient l’implantation de l’agriculture comme un inexorable front d’avancée qui s’étend sur l’Europe. Ils avaient même calculé sa vitesse de propagation : 1 kilomètre par an, soit 25 kilomètres par génération. D’après leur modèle, les populations indigènes disparaissaient pour être remplacées par de populations originaires du Proche-Orient.
Désormais, cette idée est très contestée. Les chercheurs imaginent plutôt une implantation saccadée, avec des avancées soudaines, des périodes d’arrêt et même des reculs. De plus, les données génétiques montrent que les anciens habitants, loin de disparaître, se sont intégrés peu à peu aux nouvelles sociétés ou ont adopté de leur propre fait les innovations néolithiques.
L’analyse des parures appuie fortement ce nouveau scénario. D’une part, elle montre que la propagation de l’agriculture s’est faite à des rythmes très différents, notamment entre le Nord et le Sud de l’Europe. D’autre part, elle montre que des contacts étroits entre ces cultures ont eu lieu. Dans de nombreux sites néolithiques, on retrouve en effet des parures caractéristiques des fermiers et des chasseurs-cueilleurs dans les mêmes couches archéologiques, preuve que ces populations ont entretenu des relations complexes.
Plusieurs raisons expliquent la lenteur de la néolithisation de l’Europe. « Les nouvelles populations n’arrivent pas dans un territoire vide : elles doivent faire face à la population locale. De plus, elles ne maîtrisent pas encore très bien l’agriculture. Elles doivent comprendre les saisons à ces latitudes et trouver les variétés agricoles adaptées. D’ailleurs, au Néolithique ancien, on devine des échecs marqués par de grandes oscillations démographiques », explique Solange Rigaud. En revanche, les populations de chasseurs-cueilleurs savaient pleinement tirer profit de leur environnement. L’adoption du mode de vie néolithique, qui finalement s’est imposé, était vraisemblablement gouvernée par des nouveaux systèmes de croyances. Les changements dans les objets de parure reflètent ces changements dans la sphère symbolique.
La génétique et la linguistique en renfort
De nombreuses questions restent ouvertes. Ainsi, on ne sait pas si les langues indo-européennes sont arrivées à cette époque, si elles étaient déjà là depuis le repeuplement de l’Europe résultant de la déglaciation, ou encore si elles se sont diffusées plus tard, à l’âge de bronze. De même, on commence à peine à comprendre l’empreinte laissée par la néolithisation sur le pool génétique des populations européennes modernes et à la distinguer de l’empreinte des vagues de peuplement postérieures.
Solange Rigaud pense que le recensement et l’analyse des parures réalisé dans le cadre de cette étude permettront d’apporter des éléments de réponse nouveaux : « Notre analyse est du même type que celles que font les généticiens ou les linguistes. Cela nous permet de trouver avec eux un langage et un terrain commun pour effectuer des études interdisciplinaires rarement réalisées en archéologie. » Ainsi, les chercheurs voudraient croiser leur recensement des parures avec des jeux de donnés génétiques et anatomiques, ainsi qu’avec des modèles de diffusion des langues. Cela permettrait de voir dans quelle mesure les évolutions culturelles que dévoilent les parures correspondent à des changements dans ces autres domaines.
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