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Contre les violences sexuelles, les neurosciences en renfort

Dossier
Paru le 31.01.2024
Les mystères du cerveau

Contre les violences sexuelles, les neurosciences en renfort

29.03.2023, par
Fléau planétaire, les violences sexuelles ne sont pas une fatalité. Il est possible de les endiguer, notamment grâce aux récentes découvertes sur le cerveau et sa formidable plasticité. Explications avec les neurobiologistes Danièle Tritsch et Jean Mariani, auteurs de « Sexe et Violence. Comment le cerveau peut tout changer ».

À quel point les violences sexuelles constituent-elles un problème de santé publique mondial ?
Danièle Tritsch1. Dans le monde, un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles. Une femme sur trois a été battue ou agressée sexuellement au moins une fois dans sa vie. En 2021, en France, 122 femmes ont été tuées par leur partenaire, 94 000 femmes ont été victimes de viols ou de tentatives de viols. 160 000 enfants subissent chaque année des violences sexuelles, dont 22 000 par leur père. 5,5 millions de personnes sont victimes de violences sexuelles durant l’enfance.
 
L’impact de ces violences sur la vie des victimes est considérable. Probablement encore plus pour les enfants, pour lesquels il s’écoule en moyenne 430 jours entre le début des violences et le dépôt de la plainte. Le coût pour la société est énorme. Au-delà des conséquences psychologiques majeures, citons un chiffre très étonnant donné par l’historienne de l’économie Lucile Peytavin, celui du coût financier de la virilité pour la société : en 2021, il atteignait pour la France 95 milliards d’euros2 ! Ce chiffre dépasse le cadre strict des violences sexuelles et sexistes dont l’estimation exacte est difficile car elles concernent de nombreuses composantes. Néanmoins, à partir de chiffres déjà un peu anciens, on peut affirmer avec certitude que le montant total de ces coûts dépasse, aujourd’hui, plusieurs dizaines de milliards d’euros par an. En plus d’un problème de santé publique, les violences sexuelles sont un véritable fléau social dans de multiples domaines.

Manifestation contre les violences sexistes et sexuelles, le 20 novembre 2021 à Paris. Dans le monde, un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles. Une femme sur trois a été battue ou agressée sexuellement au moins une fois dans sa vie.
Manifestation contre les violences sexistes et sexuelles, le 20 novembre 2021 à Paris. Dans le monde, un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles. Une femme sur trois a été battue ou agressée sexuellement au moins une fois dans sa vie.

Quelles sont les racines de ce fléau ? Quels sont les mécanismes qui, dans nos cerveaux d’êtres humains, font jaillir la violence ?
D. T. Il est important d’insister sur un point : il n’y a pas dans le cerveau une structure dévolue à une fonction. Toutes sont connectées et dialoguent sans cesse entre elles. Notre cerveau est le siège d’une sorte de conversation neuronale. Ceci étant dit, différents travaux ont permis de mettre en évidence ce que l’on appelle le centre de l’agressivité. Il s’agit d’un ensemble composé de quatre noyaux3 dont l’amygdale, spécialisée notamment dans la détection des dangers extérieurs. Ce centre a été très bien conservé dans l’évolution puisqu’il existe chez un très grand nombre d’espèces. Plusieurs travaux convergent pour montrer que, lorsque l’on stimule l’une de ces quatre structures, on induit un comportement agressif.
 
Jean Mariani4. Et c’est ce même centre qui est activé dans une sexualité dite normale. Comment et pourquoi passons-nous alors, via la même structure cérébrale, à la violence sexuelle ? Nous en avons une idée un peu plus précise grâce à l’optogénétique. Cette technique a tout simplement révolutionné les neurosciences. Elle permet, grâce à des techniques génétiques, de rendre certains neurones photosensibles. Quand on les éclaire par une lumière spécifique, ils s’illuminent et leur activité électrique change. Cela permet de distinguer les neurones entre eux et d’activer uniquement ceux que l’on souhaite étudier. On atteint, de ce fait, un niveau de subtilité extraordinaire dans notre vision des mécanismes neuronaux.
 
Des expériences ont ainsi été menées sur des mouches drosophiles et des rongeurs pour activer certains neurones situés dans le centre de l’agressivité. Elles ont montré qu’en faisant varier l’intensité d’activation, on induit soit un comportement de séduction soit un comportement d’agressivité.

Spécialisée notamment dans la détection des dangers extérieurs, l’amygdale (ici en rouge) est l’un des quatre noyaux qui composent le centre de l’agressivité.
Spécialisée notamment dans la détection des dangers extérieurs, l’amygdale (ici en rouge) est l’un des quatre noyaux qui composent le centre de l’agressivité.

Vous l’écrivez : « Le plus important facteur prédictif d’un comportement agressif est le sexe d’un individu. Les agresseurs de femmes et d’enfants sont quasi exclusivement des hommes » et « 96 % des auteurs condamnés pour violences sexuelles sont des hommes (...) ». Comment la neurobiologie explique-t-elle ce déséquilibre ?
D. T. En dehors de quelques psychopathes, ces agresseurs sont en général des hommes « comme tout le monde ». Il n’y a pas de gène masculin du crime. On peut cependant mettre en avant des processus particuliers, notamment ceux liés aux hormones sexuelles. La testostérone et les œstrogènes jouent un grand rôle dans notre développement. Sous leur influence, le cerveau se sexualise, sachant que ces deux hormones existent dans les deux sexes mais à des taux différents. Bien sûr, à l’échelle macroscopique, il n’y a pas de différence entre le cerveau d’un homme et celui d’une femme. Mais à l’échelle microscopique, celle des réseaux de neurones, il y a des différences incontestables.
 
Diverses expériences menées sur des rats ont montré que les hormones sexuelles interviennent différemment chez le mâle et la femelle en régulant notamment le nombre de neurones5. Ainsi, chez les ratons mâles, la testostérone induit la destruction d’une partie des neurones de l’amygdale, structure du cerveau capitale dans les comportements d’agressivité et de peur. Or, quand la destruction de ces neurones est bloquée, les jeunes rats deviennent moins agressifs. À l’inverse, quand on injecte de la testostérone aux femelles, les mêmes neurones sont détruits et leur comportement devient plus turbulent.

La testostérone est clairement impliquée dans les comportements agressifs. D’une certaine manière, elle rend le centre de l’agressivité plus performant.

La testostérone est donc clairement un élément impliqué dans les comportements agressifs. D’une certaine manière, elle rend le centre de l’agressivité plus performant. Tous les hommes sont soumis à l’action de cette hormone, mais la grande majorité d’entre eux ne va, fort heureusement, pas commettre de violences sexuelles. Ces hormones sexuelles modulent aussi l’agressivité chez l’adulte une fois que le nombre des neurones est stabilisé.

En fait, toute une série de processus complexes (taux de diverses hormones, métabolisme, état de stress, prise de psychotropes, etc.) sont impliqués dans le passage à l’acte sexuel violent car ce centre est sous l’influence de nombreuses régulations.

Des expériences menées sur des mouches et des rongeurs ont montré qu’en faisant varier l’intensité d’activation de certains neurones du centre de l'agressivité, on induit soit un comportement de séduction soit un comportement d’agressivité.
Des expériences menées sur des mouches et des rongeurs ont montré qu’en faisant varier l’intensité d’activation de certains neurones du centre de l'agressivité, on induit soit un comportement de séduction soit un comportement d’agressivité.

87 % des victimes de ces hommes sont des filles ou des femmes. Comment expliquer cette domination séculaire des hommes sur les femmes ?
J. M. Contrairement à la plupart des mammifères, les femmes sont fécondables tout au long de l’année. Notre espèce a perdu l’œstrus, c’est-à-dire en termes familiers « la saison des chaleurs », qui est clairement identifiable. Les femmes, elles, sont fécondables quelques jours tous les mois, pendant la période cyclique de l’ovulation, sans que cela soit immédiatement visible. Le passage à la bipédie, rendant moins visibles les organes sexuels externes féminins, aurait eu pour effet de cacher les manifestations de la période de fécondabilité, alors qu’elles sont très visibles chez certaines espèces de singes notamment. À la suite de cette perte de repères temporels, la sexualité humaine a cessé d’être synonyme de reproduction pour devenir aussi génératrice de plaisir toute l’année.
 
Tous les anthropologues l’affirment : cette dissociation remarquable entre sexualité et fécondation a conduit toutes les sociétés humaines à édicter un contrôle impérieux de la sexualité. Probablement du fait de leur plus grande agressivité, les hommes ont exercé très vite, probablement dès les premiers regroupements d’Homo sapiens au Paléolithique, une mainmise sur la sexualité des femmes. Ce contrôle s’est accompagné de la mise en place d’un patriarcat et d’une domination des mâles, et donc de violences. 
 
Pour autant, deux hommes dotés du même centre de l’agressivité (propre à tous les êtres humains), et des mêmes taux d’hormones, n’auront pas le même comportement : l’un va commettre des violences sexuelles et l’autre non. Pourquoi ? 
J. M. Parce qu’absolument rien n’est figé ! C’est l’un des enseignements importants que nous avons à cœur de partager dans ce livre. Notre génome est dynamique. Nous possédons tous 23 000 gènes qui codent aussi bien pour les caractères communs à tous les humains que pour nos caractéristiques propres (couleur de nos yeux, forme de notre visage, dosage hormonal propre, etc.). Or, l’expression de cet ensemble de gènes est d’une complexité inouïe et est soumise à une régulation permanente et sophistiquée. Certains de ces gènes s’activent, ou non, en fonction de notre expérience vécue : le stress, la faim, la fatigue, mais aussi des expériences plus marquantes dont certaines génèrent traumas et stress telles que des abus sexuels ou, au contraire, une sécurité affective apaisante.

Certains gènes s’activent en fonction de notre expérience (…). Une personne ayant vécu des abus sexuels durant l’enfance aura plus de risques d’activer les groupes de gènes qui la feront passer à l’acte.

Une personne ayant vécu des violences sexuelles durant l’enfance aura donc plus de risques d’activer les groupes de gènes qui la feront passer à l’acte. Il existe une sorte de traduction biologique des phénomènes sociaux. Il est donc temps d’en finir avec la distinction obsolète de l’inné versus l’acquis. Ce qui fait de nous des êtres uniques et forge notre singularité, c’est le fruit de notre bagage génétique modulé par les expériences vécues.

Plus surprenant : notre microbiote intestinal joue aussi un rôle là-dedans, cela a été récemment mis en lumière6. Nous sommes donc convaincus que la neurobiologie et l’immunologie peuvent apporter un éclairage biologique sur ce qui fonde la personnalité, le « self », une notion qui jusqu’à récemment n’était interrogée que par les sciences humaines.
 
Bien sûr, chaque être humain est unique, mais peut-on établir des catégories ?
D. T. Oui, parmi les agresseurs récidivistes par exemple, on retrouve souvent des pervers narcissiques qui vont manipuler autrui (le plus souvent, des femmes) pour satisfaire leur propre besoin de domination. Nombre de ceux qui commettent des féminicides souffrent d’une absence d’empathie : ils considèrent leur victime comme un simple objet. Quand ils l’agressent, ils ne ressentent pas plus d’émotion que lorsque vous cassez un verre.

Maison de l'adolescent, à Fontenay-sous-Bois. Cette association mène des actions pour la prévention des violences sexistes et sexuelles dans les lieux accueillant des jeunes.
Maison de l'adolescent, à Fontenay-sous-Bois. Cette association mène des actions pour la prévention des violences sexistes et sexuelles dans les lieux accueillant des jeunes.

Globalement, l’espèce humaine se montre plus « performante » dans l’agressivité que les autres espèces. Pour quelles raisons ?
D. T. Du point de vue biologique, nous avons peu de données pour répondre précisément mais plusieurs hypothèses ont été avancées. Une première piste est liée à la perte de l’œstrus évoqué plus haut et qui a conduit à une sexualité permanente dans notre espèce. Ce changement biologique fondamental s’est associé ou a conduit à la mise en place du patriarcat qui aurait ainsi structuré, jusqu’à récemment, l’organisation des sociétés et contribué à façonner l’esprit humain.
 
L’expansion considérable du cortex cérébral, en particulier du cortex préfrontal, est une autre donnée biologique à prendre en compte car elle serait devenue le principal moteur de l’évolution dans notre espèce. Elle est responsable des exceptionnelles capacités cognitives, sociales et culturelles des humains qui distinguent notre espèce de toutes les autres. Le cerveau s’est ainsi construit au fil des siècles un patrimoine scientifique, technique, culturel et artistique sans équivalent. Cette expansion a permis en outre l’acquisition du langage articulé qui autorise des facultés uniques d’apprentissage et de transmission des savoirs au sein d’un parcours de vie.

L’expansion du cortex (…) pourrait conduire, dans notre espèce, à des capacités inégalées de violence. « Cette face sombre » serait en quelque sorte le prix à payer pour la complexification de notre cerveau et de nos sociétés.

Et aujourd’hui, la révolution numérique et l’explosion des réseaux sociaux amplifient ce développement de la communication entre humains. Autrement dit, « les esprits humains ne sont pas seulement façonnés pour la culture, ils sont façonnés par la culture », nous dit le chercheur écossais Kevin Laland, spécialiste de biologie évolutive et du comportement. Et ce pour le meilleur… et pour le pire. Le centre de l’agressivité est en effet largement interconnecté avec les structures du cortex, en particulier du cortex préfrontal, devenues hautement performantes.

Ces interactions pourraient conduire, dans notre espèce, à des capacités inégalées de violence. « Cette face sombre » serait en quelque sorte le prix à payer pour la complexification de notre cerveau et de nos sociétés. De nombreux travaux de recherche sont encore nécessaires pour étayer ou infirmer cette hypothèse mais elle ouvre d’intéressantes pistes de réflexion.
 
Mais le cerveau « peut tout changer », selon le sous-titre de votre livre. En quoi la mise en lumière des racines biologiques des violences sexuelles est-elle porteuse d’espoir pour l’avenir ?
J. M. Nous savons aujourd’hui à quel point notre patrimoine génétique, et donc notre cerveau, sont plastiques, sensibles aux évènements extérieurs. Non seulement cela enterre définitivement l’idée selon laquelle il y aurait des violeurs nés, mais cela prouve s’il en était encore besoin que l’éducation et les psychothérapies ont un rôle fondamental à jouer dans la prévention du passage à l’acte violent, ou de la récidive.

La compréhension des mécanismes neuronaux en lien avec la violence doit permettre de mettre au point de nouveaux outils thérapeutiques, (…) comme la neurostimulation répétitive ou de futurs traitements médicamenteux.

En outre, la compréhension fine des mécanismes neuronaux en lien avec la violence doit permettre de mettre au point de nouveaux outils thérapeutiques. Par exemple, la neurostimulation répétitive, magnétique ou électrique, via des électrodes externes. Elle peut aussi déboucher sur la mise au point de nouvelles molécules pour de futurs traitements médicamenteux. Des chercheurs israéliens ont par exemple montré que l’hexadécanal, une molécule produite par la peau, les fèces et la respiration des mammifères, a un effet calmant sur les hommes. D’autres équipes étudient la MDMA, le THC et d’autres molécules jusqu’à présent considérées comme des drogues.

D. T. Une récente étude a quant à elle montré que l’amygdale est capable de faire le tri entre les bons et les mauvais souvenirs, ceux-ci suivant deux voies neuronales différentes. Les chercheurs ont identifié la neurotensine (un petit neuropeptide de treize acides aminés présent dans de nombreux neurones du cerveau) comme étant le « signal » qui indique à ces souvenirs la trajectoire à suivre, ouvrant ainsi des perspectives de traitement. Tandis que la sérotonine, un neurotransmetteur qui agit comme un frein au désir sexuel, libérée naturellement lors d’un acte sexuel harmonieux, entraîne une diminution des comportements agressifs.  

Et du côté de la société, comment ces questions progressent-elles ? Dans le sillage du mouvement #MeToo, la situation générale s’améliore-t-elle ?
J. M. #MeToo, et plus largement les réseaux sociaux, ont suscité une prise de conscience massive, une libération de la parole et une meilleure écoute des victimes. Mais les réseaux sociaux et Internet en général ont aussi un impact beaucoup plus sombre. Qui dit massification de l’information dit aussi massification de la diffusion de la pornographie : les jeunes sont éduqués à la sexualité via des images souvent violentes et dégradantes pour les femmes, véhiculant des stéréotypes. Les pédophiles peuvent maintenant consommer depuis chez eux des images pornographiques en payant un abonnement, ce qui facilite la pédocriminalité.
 
D. T. Concrètement, les violences sexuelles reculent peu malgré le phénomène #MeToo. Les raisons sont multiples et bien identifiées : faible taux des plaintes (une femme sur dix seulement), délai d’enregistrement des plaintes (il atteint 205 jours en 20217), déni de responsabilité des agresseurs, prescription des faits, affaires classées sans suite pour manque de preuves tangibles, frais d’avocats…

Les violences sexuelles reculent peu malgré le phénomène #MeToo (…). Il faudrait créer une « Task force » à tous les niveaux : prévention, justice, éducation... L’éducation est la clé.

Quant à la pédocriminalité, elle prend des proportions inquiétantes, en particulier en Asie avec le « live streaming » (permettant de commanditer un acte pédocriminel et d’y assister en ligne en échange d’une rémunération, Ndlr). Pour que les choses changent vraiment, il faudrait prendre des mesures légales et sociales fortes. Nous pourrions prendre exemple sur les Espagnols qui ont mis en place un plan d’action en 2014 pour lutter contre les violences sexuelles.

Bracelet électronique antirapprochement, ici promu par Delphine Jumelin, directrice de l'ACJM (association d'Aide aux victimes, de Contrôle Judiciaire socio-éducatif, d'enquête de personnalité et de Médiation pénale), à Coutances, en septembre 2021.
Bracelet électronique antirapprochement, ici promu par Delphine Jumelin, directrice de l'ACJM (association d'Aide aux victimes, de Contrôle Judiciaire socio-éducatif, d'enquête de personnalité et de Médiation pénale), à Coutances, en septembre 2021.

Quelles sont ces mesures mises en place en Espagne et dont la France pourrait s’inspirer ?
J. M. On peut citer le bracelet électronique antirapprochement pour les conjoints violents, le téléphone grave-danger, les plateformes de recensement des cas de violences sexuelles et la formation des juges. Suite à ces mesures, les féminicides ont fortement chuté en Espagne, passant de 71 en 2020 à 48 en 2021. L’instauration de tribunaux spécialisés a aussi permis de traiter les affaires de violences conjugales dans de meilleurs délais, avec un taux de condamnations plus élevé et des victimes mieux protégées. Tandis que la France accuse un certain retard en la matière malgré certains progrès, comme l’accueil dans les commissariats, la création de structures d’information et de sensibilisation dans de nombreux organismes, y compris le CNRS et les universités8. Le pouvoir politique n’a proposé chez nous que des demi-mesures comme les cellules spécialisées mises en place au milieu de tribunaux déjà surchargés. Il faudrait plutôt créer des tribunaux dédiés ainsi qu’une « Task force », à tous les niveaux, que ce soit la prévention, la justice, ou l’éducation. L’éducation est la clé.
 
D. T. Cela va prendre du temps, une génération sans doute, mais grâce à la recherche, l’éducation des enfants, et la multiplication de mesures sociales fortes, il est possible de faire reculer la culture du viol. Nous en sommes convaincus. ♦

À lire
Sexe et Violence. Comment le cerveau peut tout changer, Danièle Tritsch et Jean Mariani, Seuil, mars 2023, 384 p., 21 €.

Notes
  • 1. Ancienne professeure de l’université Pierre-et-Marie-Curie, Danièle Tritsch y a codirigé un grand laboratoire de neurosciences et apporté des résultats importants sur la neurotransmission. Elle a assuré de nombreuses fonctions administratives liées à la recherche et écrit plusieurs ouvrages de vulgarisation à destination des étudiants.
  • 2. Dans son essai « Le coût de la virilité » (éd. Anne Carrière, mars 2021), l’autrice pointe en quoi les hommes sont responsables de l’écrasante majorité des comportements asociaux en France : ils représentent 84 % des auteurs d’accidents de la route mortels, 92 % des élèves sanctionnés pour des actes relevant d’atteinte aux biens et aux personnes au collège, 90 % des personnes condamnées par la justice, 86 % des mis en cause pour meurtre, 97 % des auteurs de violences sexuelles, etc.
  • 3. L’amygdale, l’hypothalamus ventro-médian, le noyau prémamillaire et le noyau du lit de la strie terminale.
  • 4. Médecin et scientifique, Jean Mariani est professeur émérite à Sorbonne Université où il a codirigé un grand laboratoire de neurosciences et un service hospitalier. Il a exercé de nombreuses responsabilités dans la politique de recherche française en neurosciences et biologie du vieillissement et jouit d’une grande réputation internationale dans ces domaines.
  • 5. « Microglial phagocytosis of newborn cells is induced by endocannabinoids and sculps sex differences in juvenile rat social play », Jonathan VanRyzin et al., Neuron, 102, 2019.
  • 6. « The gut microbiome correlates with conspecific aggression in a small population of rescued dogs (Canis familiaris) », Nicole S. Kirchoff et al., Peer J., 7, 2019.
  • 7. Le délai médian entre le début des faits et l’enregistrement d’une plainte par les forces de l’ordre est stable pour la majorité des affaires judiciaires, et le plus souvent inférieur à 5 jours. Mais pour les violences sexuelles, il est nettement plus élevé et continue d’augmenter, passant de 87 jours en 2017 à 205 jours en 2021.
  • 8. Une étude de l’institut Ipsos pour la Fondation L’Oréal-Unesco pour les femmes en science a révélé en mars 2023 que ces structures de recherche et d’enseignement ne font en rien exception et que les violences sexistes y sont présentes. Lire https://www.ipsos.com/fr-fr/une-femme-scientifique-sur-deux-revele-avoir...
Aller plus loin

Commentaires

3 commentaires

"Le passage à la bipédie, rendant moins visibles les organes sexuels externes féminins, aurait eu pour effet de cacher les manifestations de la période de fécondabilité, alors qu’elles sont très visibles chez certaines espèces de singes notamment. À la suite de cette perte de repères temporels, la sexualité humaine a cessé d’être synonyme de reproduction pour devenir aussi génératrice de plaisir toute l’année." Ha bon ! Et comment explique t on alors ce même comportement d'activité ou jeux sexuels permanents chez les bonobos ???

Cet article me met très mal à l'aise. La testostérone n'est pas présente en meme quantité dans le corps suivant nos gonades mais les personnes transgenres prenant de la testostérone ne deviennent pas violentes dans les memes proportions que les hommes cisgenres. ça montre bien que le problème sont les hommes cisgenres, éduqués à se servir de tout, meme des personnes, comme ça leur chante. Ensuite, les termes "sexualité normale" et "sexualité harmonieuse" sont très flous : qui a déterminé ces qualificatifs ? Sont-ce les 2 personnes (ou +) de l'acte ? Comment s'assurer que de la violence banalisée n'a pas été intériorisée par les partenaires ? Nous sommes au moins d'accord sur un point : il faut éduquer, et réformer la justice qui est complètement inefficace face à la violence des hommes cisgenres. Ce sont eux qui nous coutent cher.

Bonjour Les individus immatures sont, souvent, plus agressifs que les individus matures. On ne fait généralement pas de la maturité psychologique un critère de recrutement. Voilà pourquoi je ne crains pas d’affirmer que, tant qu’il en sera ainsi, il y aura même un pourcentage plus élevé d’individus immatures parmi les gens qui ont du pouvoir. L’immaturité psychoaffective pose un sérieux problème, à partir du moment où l’on permet à de tels individus de prendre des responsabilités et du pouvoir. Un chef techniquement et professionnellement incompétent, c’est déjà un problème. Un chef psychologiquement immature, cela pose un problème plus grand encore. Que devrions-nous dire des politiciens psychologiquement et professionnellement immatures ? A noter que l’amygdale est en moyenne plus importante chez l’homme que chez la femme, ce qui fait qu’il est plus facile d’appuyer chez lui le bouton de la violence et de la colère Et, surtout, ne pas oublier qu’on ne nait pas humain, mais on le devient… Bien à vous alessandro pendesini - Bruxelles
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