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Gaia : le catalogue galactique nouveau est arrivé

Dossier
Paru le 12.04.2022
Mis à jour le 24.05.2022
2022, dans le rétro de la science

Gaia : le catalogue galactique nouveau est arrivé

13.06.2022, par
Trajectoires prévues de 40 000 étoiles proches au cours des 400 000 prochaines années.
C’est aujourd’hui qu’est enfin dévoilée la seconde partie du troisième catalogue de la mission européenne Gaia. Très attendue, cette nouvelle édition contient des données uniques. De quoi en savoir plus sur notre galaxie et son environnement.

Obtenir une carte du ciel la plus étendue et la plus précise jamais réalisée, afin de mieux comprendre la composition, le passé, l’avenir et l’environnement de notre Voie lactée, cette grande spirale composée d’au moins 200 milliards d’étoiles, qui renferme le Système solaire et donc notre planète, la Terre… C’est en tout cas le vertigineux objectif de la mission spatiale Gaia. Grâce aux nouvelles données publiées le 13 juin 2022, les scientifiques n’ont jamais été aussi près de ce but !

Le satellite Gaia lors des tests de déploiement en octobre 2013 sur la base spatiale de Kourou, en Guyane française.
Le satellite Gaia lors des tests de déploiement en octobre 2013 sur la base spatiale de Kourou, en Guyane française.

Mission majeure de l’Agence spatiale européenne (ESA), Gaia est entièrement dédiée à l’astrométrie. Depuis l’Antiquité, cette branche de l’astronomie s’efforce d’évaluer la position, la distance et le mouvement des étoiles, astéroïdes et autres objets célestes. Titanesque, ce travail est crucial. Car connaître l’éloignement des étoiles permet d’évaluer l’énergie qu’elles émettent, puis d’en déduire leur masse et leur âge, et de mieux comprendre leur fonctionnement. De fait, il est possible d’estimer la distance des étoiles grâce à des observations depuis le sol, via une technique dite « parallaxe trigonométrique »… Mais en raison des turbulences de l’atmosphère, qui perturbe la propagation des rayons lumineux, les mesures depuis la Terre restent imprécises. Voilà pourquoi en 1989, l’ESA a lancé le premier satellite d’astrométrie spatiale : Hipparcos (1989-1993). Cet engin a permis d’établir la position de 120 000 étoiles, avec une précision de l’ordre du millième de seconde d’arc, c’est-à-dire à peu près la grosseur d’une pièce de 2 euros vue à 1 000 kilomètres.

500 millions de mesures réalisées chaque jour !

Gaia est donc la seconde mission d’astrométrie spatiale de l’ESA. Lancé le 19 décembre 2013 depuis la base de Kourou, en Guyane, son satellite renferme deux télescopes dotés de trois instruments de mesure très puissants : « un astromètre, qui mesure la position et le déplacement des objets célestes ; un spectrophotomètre, destiné à analyser l’intensité lumineuse des étoiles pour en déduire leurs propriétés physiques (température, masse, âge…) ; et un spectrographe, qui mesure la vitesse radiale (dans la ligne de visée) des astres et leur composition chimique », détaille François Mignard, un des initiateurs de Gaia, astronome et directeur de recherche CNRS émérite au laboratoire Lagrange1.

Les techniques d’observation de Gaia (astrométrie, photométrie et spectroscopie) permettent d’étudier les étoiles de notre voisinage cosmique.
Les techniques d’observation de Gaia (astrométrie, photométrie et spectroscopie) permettent d’étudier les étoiles de notre voisinage cosmique.

Placé autour du point de Lagrange L2, une zone spatiale située sur l’axe Soleil-Terre, à 1,5 million de kilomètres de notre planète, Gaia tourne sur lui-même de manière à faire un tour complet en 6 heures. Ainsi, tel un phare, il explore régulièrement l’ensemble de la voûte céleste et effectue chaque jour 500 millions de mesures ! Sur Terre, cette énorme quantité de données est dépouillée, traitée et analysée par un groupe de 450 ingénieurs et astronomes de 25 pays (dont une centaine rien qu’en France) : le consortium DPAC (Data Processing and Analysis Consortium). « Cette structure est aussi importante que les trois instruments de mesures de Gaia : sans elle, les données brutes du satellite seraient inexploitables par les astronomes », souligne François Mignard. Ce consortium gère aussi, avec l’ESA, la publication du catalogue de Gaia.

Deux catalogues entiers ont déjà été livrés 

Dévoilée en 2016, la toute première édition de cet inventaire, baptisée Gaia DR1 (Data Release 1), recense la position de près de 1,15 milliard d’étoiles et de 2 500 quasars, estimée avec une précision incroyable, de 0,5 à 15 millièmes de seconde de degré. « Par rapport à Hipparcos, le nombre d’astres référencés a été multiplié par 10 000 et la précision de leur position (à éclat comparable), par trois », compare François Mignard. 

Orbites de plus de 150 000 astéroïdes (au centre, le Soleil).
Orbites de plus de 150 000 astéroïdes (au centre, le Soleil).

Le second catalogue, ou DR2, a été livré en 2018 : il référence environ 1,7 milliard d’étoiles, mais aussi, pour la première fois, plus de 14 000 astéroïdes. « Ces corps sont de précieux témoins de la naissance du Système solaire : alors que la surface des planètes a été très remaniée depuis cette époque (notamment, en raison de leur activité géologique : volcanisme, tectonique des plaques etc.), la composition chimique des astéroïdes n’a, elle, pas évolué. Donc leur étude peut aider à mieux comprendre les principaux processus physiques qui amènent à la formation d’un système planétaire autour d’une étoile », éclaire Benoît Carry, planétologue spécialiste des astéroïdes au laboratoire Lagrange et à l'Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides2 (IMCCE). Autre point notable de la DR2 : elle comprend également la vitesse radiale (le long de la ligne de visée) de plus de 7 millions de sources. « Ce paramètre permet de connaître la vitesse des étoiles dans les trois dimensions spatiales et ainsi, de cartographier en 3D les mouvements dans notre galaxie », explique Paola Sartoretti, ingénieure de recherche CNRS au laboratoire Galaxies, Etoiles, Physique, Instrumentation3 (Gepi), au site de Meudon de l'Observatoire de Paris, et responsable scientifique de l’équipe de traitement des données du spectromètre de Gaia.

Plusieurs nouvelles données inédites

Enfin, un autre ensemble de données de Gaia a été publié en décembre 2020 : dit EDR3 (E pour « early » : précoce en anglais), il correspond à la première partie du troisième catalogue de Gaia (DR3), et comporte des informations astrométriques (position, distance, vitesse) concernant 1,8 milliard d’étoiles. Les données qui seront publiées le 13 juin constituent, elles, la seconde partie de la DR3. Cette nouvelle vague de mesures comporte notamment les vitesses radiales de plus de 34 millions d’étoiles, ce qui est 5 fois plus que dans la DR2, et la position d’environ 160 000 astéroïdes, soit plus de 10 fois plus que dans la DR2. Mais les chercheurs pourront aussi y trouver de nombreux paramètres astrophysiques (température de surface, rayon, luminosité…) pour un plus grand nombre d’étoiles, une classification de la quasi-totalité des objets célestes observés, la première cartographie chimique de la Voie Lactée et une description inédite des petits corps du Système solaire.

Voie lactée vue par Gaia: les carrés représentent les amas globulaires, les triangles les galaxies satellites et les petits points les courants stellaires. Les points et les carrés violets sont des objets amenés dans la Voie lactée par la galaxie Pontus.
Voie lactée vue par Gaia: les carrés représentent les amas globulaires, les triangles les galaxies satellites et les petits points les courants stellaires. Les points et les carrés violets sont des objets amenés dans la Voie lactée par la galaxie Pontus.

Attendues avec impatience par des astronomes et astrophysiciens du monde entier, ces nouvelles données devraient nous aider à répondre à plusieurs grandes questions qui taraudent les astronomes et les astrophysiciens depuis des décennies : la galaxie est-elle née en une seule fois ou bien est-elle le résultat de la fusion de plusieurs galaxies voisines ? Quelle est sa masse ? Comment tourne-t-elle ? Combien d’étoiles sont en train d’échapper à son champ gravitationnel ?

Une avalanche de découvertes en perspective

Jusqu’ici, « les données de Gaia ont déjà permis de faire plusieurs avancées majeures », relève Piercarlo Bonifacio, directeur de recherche CNRS au Gepi. À titre d’illustration, les données de la DR1 et de la DR2 ont permis de découvrir que notre galaxie a subi une fusion majeure avec une autre galaxie, dite Gaia-Sausage-Enceladeus (GSE), et que la plupart des étoiles attribuées jusqu’ici au halo galactique (la vaste région remplie de gaz chaud qui entoure la Voie lactée) appartenaient à cette autre structure4. Les données de l’EDR3 ont permis quant à elles de calculer les trajectoires des galaxies naines qui orbitent autour de notre galaxie5 ; ce qui a permis de comprendre que la plupart de ces galaxies ne tournent pas autour de la Voie lactée depuis longtemps, mais en sont à leur premier passage au péricentre (point de l’orbite où la distance est minimale par rapport au foyer de cette orbite). « Grâce aux données inédites de la DR3, de nombreuses nouvelles découvertes nous attendent ! » se réjouit Piercarlo Bonifacio.

Vue d’artiste des débris de la galaxie Gaia-Encelade, qui a fusionné avec notre Galaxie au cours de ses premières étapes de formation, il y a 10 milliards d’années. Les flèches jaunes représentent les étoiles venant de Gaia-Encelade.
Vue d’artiste des débris de la galaxie Gaia-Encelade, qui a fusionné avec notre Galaxie au cours de ses premières étapes de formation, il y a 10 milliards d’années. Les flèches jaunes représentent les étoiles venant de Gaia-Encelade.

Mais la DR3 ne sonne pas la fin de l’aventure Gaia : vers fin 2025, devrait arriver un quatrième catalogue de Gaia, et fin 2030, un cinquième ! De quoi entrevoir une avalanche de nouvelles autres avancées… ♦

Pour en savoir plus sur les données de Gaia DR3 : le site de l'ESA (en anglais).

Notes
  • 1. Unité Université Côte d’Azur / Observatoire de la Côte d'Azur / CNRS
  • 2. Unité CNRS/Observatoire de Paris-PSL.
  • 3. Unité CNRS/Observatoire de Paris - PSL.
  • 4. Vassily Belokurov et al. MNRAS. Juillet 2018. Doi: 10.1093/mnras/sty982 / Misha Haywood et al.The Astrophysical Journal. Août 2018,doi: 10.3847/1538-4357/aad235 / Amina Helmi et al. Nature. 2018 Nov. doi: 10.1038/s41586-018-0625-x. Epub 2018 Oct 31.
  • 5. François Hammer et al, The Astrophysical Journal, 2 novembre 2021. https://doi.org/10.3847/1538-4357/ac27a8
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Auteur

Kheira Bettayeb

Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.

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1 commentaire

Je suis toujours stupéfié par la beauté et la complexité «  de ou des univers « . Que ce soit à taille humaine, ou à la grandeur de l’univers, et même en ce qui concerne le quantique, la nature me bouleverse par sa magnificence, sa complexité et son ingéniosité. L’univers n’aurait pas pu être plus beau. * * *
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