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Quand l’IA s’attaque à la sclérose en plaques
Maladie auto-immune, la sclérose en plaques se caractérise par la dégradation de la myéline, la membrane qui protège les axones des neurones. La communication au sein du système nerveux est alors progressivement perturbée, entraînant des atteintes motrices et neurologiques de plus en plus importantes. La sclérose en plaques est pour l’instant incurable, mais des traitements permettent d’en soulager certains symptômes, et ce d’autant plus si la maladie est découverte tôt. Or aujourd’hui, la sclérose en plaques est repérée plutôt tardivement.
Automatiser la détection des lésions avec l’apprentissage profond
« Le diagnostic précoce de la sclérose en plaques passe notamment par l’observation par IRM de biomarqueurs, comme des lésions ou le volume anormal de certaines structures cérébrales, explique Reda Abdellah-Kamraoui, doctorant au Laboratoire bordelais de recherche en informatique1 (LaBRI). L’extraction manuelle de ces informations à partir d’images IRM prend un temps considérable, et des techniques automatiques ont donc été développées. »
Avec sa thèse « Apprentissage profond pour le big data en neuro-imagerie », dirigée par Pierrick Coupé qui est directeur de recherche CNRS au LaBRI, Reda Abdellah-Kamraoui est au cœur de ces questions. Les méthodes d’apprentissage profond (ou deep learning), développées pour les tâches de reconnaissance d’images, ont été naturellement mises à contribution pour automatiser ces opérations complexes et fastidieuses. « L’intelligence artificielle (IA) reste un outil capable de se tromper, insiste Reda Abdellah-Kamraoui. Les médecins gardent le monopole du diagnostic. L’apprentissage profond permet cependant d’obtenir une prédiction objective, là où deux cliniciens ne donnent pas forcément la même interprétation. »
Des fausses images pour entraîner de vraies IA
L’apprentissage profond passe par l’accumulation d’exemples et de données, avec lesquels les algorithmes s’entraînent à distinguer les éléments importants sur les images IRM. Mais ces éléments ne sont pas standardisés, car les différents appareils d’IRM n’ont pas les mêmes rendus selon leur constructeur et leur modèle. À Bordeaux, Reda Abdellah-Kamraoui étudie justement la généralisation de réseaux de neurones, afin qu’ils puissent s’entraîner malgré des données hétérogènes.
Dans la même idée, une partie des travaux est dédiée à la génération d’images synthétiques, qui pallient le manque de données pour entraîner les algorithmes. Reda Abdellah-Kamraoui a ainsi participé au challenge de l’International conference on medical image computing and computer assisted intervention (MICCAI), dédiée à l’imagerie médicale, sur la détection et la segmentation des nouvelles lésions dues à la sclérose en plaques. « lI fallait détecter les nouvelles lésions à partir de deux IRM successives d’un même patient, précise Reda Abdellah-Kamraoui. Le souci est que comme les patients sont traités dès que des lésions sont repérées, les IRM suivantes ne montreront pas de différences importantes et nous manquons donc de données pour entraîner nos algorithmes. Nous avons alors proposé une technique où nous générons de fausses images IRM qui simulent le cas d’un patient qui n’aurait pas été traité pendant plusieurs années, puis nous nous en servons pour entraîner nos IA. »
Reda Abdellah-Kamraoui et ses collègues s’intéressent également à la prédiction du score de sévérité de la sclérose en plaques, à partir là encore d’images IRM, mais aussi de données démographiques et cliniques. Ce score est un paramètre très important pour les médecins.
Un apprentissage généralisable
Pour tous ces travaux, l’équipe utilise principalement le langage informatique Python, et emploie une bibliothèque dédiée qui permet aux algorithmes de lire les IRM. En plus de l’apprentissage profond, les chercheurs développent de l’apprentissage par transfert qui permet à un algorithme de maîtriser une nouvelle tâche, qui n’est pas exactement celle pour laquelle il a été entraîné. Cela pourrait sembler simple, mais les systèmes basés sur les réseaux de neurones artificiels ont en fait souvent besoin de repartir de zéro, ou presque, pour apprendre une nouvelle mission, même si elle paraît similaire à la première.
L’étude des IRM dépasse cependant le seul cadre de la sclérose en plaques. Pierrick Coupé, directeur de thèse de Reda Abdellah-Kamraoui, a ainsi créé avec Jose V. Manjón de l’université polytechnique de Valence (Espagne) volBrain. Cette plateforme permet de télécharger des données d’IRM et d’effectuer automatiquement de nombreuses tâches utiles au diagnostic de pathologies neurodégénératives, dont la sclérose en plaques, mais aussi les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson.
L’intégration de ces solutions est réalisée par Boris Mansencal, ingénieur de recherche au LaBRI. Un projet ANR, intitulé DeepvolBrain, est également en cours pour adapter la plateforme aux défis du big data, représentés ici par l’explosion de la taille des données IRM. Des médecins comme Thomas Tourdias, professeur d'université et praticien hospitalier au CHU de Bordeaux, sont impliqués dans le projet...
Une aide à la décision médicale
En France, d’autres groupes travaillent aussi à l’aide au diagnostic de la sclérose en plaques par IA. L’équipe Empenn2 de l’Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires3 (Irisa) participe ainsi au programme Primus4, fondé par le CHU de Rennes, qui a été doté de huit millions d’euros par l’appel à projets « Recherche hospitalo-universitaire en santé ». « La sclérose en plaques, c’est 120 000 malades en France qui font chacun une IRM par an, souligne Gilles Edan, praticien hospitalier et professeur émérite au CHU de Rennes, très impliqué dans Primus. Ajoutez à cela que les neurologues et les radiologues ne peuvent pas être experts dans toutes les maladies couvertes par leur discipline, il est donc impossible que chaque image IRM soit interprétée par un spécialiste de la sclérose en plaques. »
Le projet Primus est centré autour de deux outils. Le premier visera l’aide à la décision médicale, et également à faciliter l’adhésion des patients aux médicaments qui leur sont prescrits, car ils peuvent avoir des effets secondaires importants. Ce futur outil sera basé sur des données de très haute qualité, issues d’essais cliniques des laboratoires pharmaceutiques ainsi que d’une cohorte de patients OFSEP5 suivis avec une rigueur extrême. « Il trouve des patients qui partagent un maximum de caractéristiques avec les nôtres, puis nous montre comment les différents traitements ont agi sur eux, poursuit Gilles Edan. Nous avons alors des indicateurs solides et personnalisés de l’évolution probable de la maladie sous traitement. »
Le second outil de Primus se concentre quant à lui sur les IRM et fournira, grâce à une immense banque de données, des références aux médecins qui ne seraient pas experts en sclérose en plaques. « C’est une vraie révolution, se réjouit Gilles Edan. C’est comme si nous avions la mémoire et l’expérience d’avoir traité 10 000 patients à portée de clic ! » ♦
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.