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Françoise Combes, médaille d’or 2020 du CNRS
La rencontre n’a pas eu lieu dans son bureau, mais chez elle, en visioconférence. Pandémie de Covid-19 oblige. La fenêtre virtuelle laissait apparaître, assise devant une grande bibliothèque, une femme gracile, coupe garçonne, délicat chemisier, sourire aussi timide que lumineux. Françoise Combes, 68 ans, astrophysicienne au Laboratoire d’études du rayonnement et de la matière en astrophysique et atmosphères1, titulaire depuis 2014 de la chaire Galaxies et cosmologie au Collège de France, est lauréate de la médaille d’or du CNRS 2020. « Elle était déjà revenue en 1983 à Evry Schatzman avec qui j’ai démarré ma carrière », s’amuse la lauréate, faisant remarquer que la boucle est en quelque sorte bouclée.
Après l’École normale supérieure (ENS), rue d’Ulm, et une agrégation de physique, elle démarre sa carrière dans cette discipline par un DEA de physique quantique. « On me demande souvent si j’étais prédestinée à l’astronomie ; si, petite, j’observais déjà dans un télescope. Mais à cette époque-là, je ne savais pas trop ce que je voulais faire... » Son DEA en poche, elle entame une thèse de 3e cycle en astrophysique théorique, avec Evry Schatzman donc, sur le modèle cosmologique symétrique entre matière et antimatière, cette forme « miroir » de la matière.
À chaque particule de matière correspondrait en effet dans l’Univers une antiparticule de même masse mais de charge électrique opposée. Or la matière était en excédent par rapport à cette antimatière, les cartes du fond diffus cosmologique – la toute première lumière émise par l’Univers – le montrent. Dans le modèle standard, l’excès de matière sur l’antimatière n’est que de seulement un milliardième, mais cela suffit à expliquer pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. Sans ce surplus, matière et antimatière se seraient annihilées et rien n’existerait. « C’est fascinant !, s’enthousiasme-t-elle. À quel phénomène doit-on ce subtil mais crucial excédent de matière, et donc notamment notre existence ? Avec un petit groupe de chercheurs, dont Evry Schatzman et Roland Omnès, nous avons développé un scénario que nos calculs ont finalement invalidé. Un peu perdue à la fin de ma thèse, je me demandais vers quel sujet me tourner. C’est Pierre Encrenaz qui m’a propulsée sur une nouvelle voie... »
Traqueuse de molécules interstellaires
Nous sommes alors en 1975 et le chercheur, aujourd’hui professeur des universités, émérite à l’Observatoire de Paris, monte le premier laboratoire français de radioastronomie en ondes millimétriques2. Sous son impulsion, Françoise Combes entame une thèse d’État et dédie son brio à une toute nouvelle discipline : la chimie du milieu interstellaire.
À l’époque, seules quelques molécules ont été détectées entre les étoiles de la Voie lactée, mais on soupçonne qu’une chimie complexe s’y trame. La jeune chercheuse traque donc des molécules dans le ciel avec des télescopes de nouvelle génération : la parabole de 12 mètres de Kitt Peak en Arizona, l’antenne de 5 mètres à McDonald, au Texas, ou celle de 4,6 mètres de l’Aerospace Corporation, en Californie. Quelques minutieuses sessions d’observation plus tard, et un enfant dans la foulée, elle cosigne une première scientifique : la détection de la molécule CO (monoxyde de carbone) non pas dans la Voie lactée mais dans la galaxie d’Andromède, à 2,2 millions d’années-lumière de la Terre. « On a eu pas mal de publicité avec cette découverte, ça démarrait plutôt bien pour la quête de molécules », raconte-t-elle avec une humilité palpable.
Dans la foulée de ce succès, la chercheuse décroche un poste d’assistante puis de maître-assistante à l’ENS, fait deux autres enfants, avant de devenir sous-directrice du Laboratoire de Physique de l’ENS, fonction qu’elle occupera entre 1985 et 1989. « Je dispensais aussi des cours à Paris 6 tout en m’efforçant, en vain, d’y obtenir un poste permanent. Ceci dit, je ne regrette rien : en 1989, j’ai finalement été recrutée comme astronome à l’Observatoire de Paris, un statut qui me permettait enfin de me consacrer quasi exclusivement à la recherche ! »
Elle multiplie dès lors les campagnes d’observation, notamment avec l’antenne de 15 mètres du SEST (Swedish-ESO Submillimetre Telescope), au Chili, et la grande antenne de 30 mètres de l’Institut de radioastronomie millimétrique, près de Grenade, en Espagne. « Je partais sur le terrain plusieurs semaines par an avec le soutien de mon mari qui gardait nos trois enfants. » Dans ses « filets » en forme d’antennes radio, elle attrape de nombreuses autres molécules, traque entre autres la glycine, l’oxygène et l’eau, tapies dans des galaxies très lointaines. Sa chasse aux molécules interstellaires la conduit peu à peu à se pencher sur ses objets de prédilection : les galaxies.
Anatomiste des galaxies
« Nous avions remarqué, surtout grâce au satellite Iras, dès 1985, que l’hydrogène moléculaire3 est particulièrement abondant dans les galaxies en interaction. » Ces amoureuses, qui en dansant l’une avec l’autre forment des queues dites « de marée », sont de véritables pouponnières : elles enfantent 1 000 nouvelles étoiles par an quand une galaxie isolée, telle la Voie lactée, n’en forme qu’une à deux. « Ces étoiles naissent à partir d’énormes nuages de gaz moléculaire. Avec mes premiers étudiants en thèse, François Boulanger et Fabienne Casoli, devenue au printemps 2020 la première femme présidente de l’Observatoire de Paris, je tâchais de comprendre comment les molécules s’agencent pour former ces gigantesques nuages faiseurs d’étoiles. »
Entre 2001 et 2008, elle dirige d’ailleurs le Programme national Galaxies, l’un des programmes nationaux portés par l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS. À partir de 2005, elle collabore, avec des équipes de l’Institut d’astrophysique de Paris et du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, au programme Horizon, financé par l’Agence nationale de la recherche, qui simule l’évolution de notre cosmos jusqu’aux confins de l’Univers observable. Dans ce cadre, son équipe bâtit une vraie bibliothèque cosmique. « Nous avons conçu une énorme base de données qui recense des galaxies de toutes masses et de tous types (des spirales, des naines, des lenticulaires...) et dont on peut simuler à loisir les interactions et les fusions », explique-t-elle avec passion. À force de jouer avec ses danseuses cosmiques virtuelles, à force de pointer télescopes et antennes géantes vers le ciel, elle dissèque les galaxies et révèle les secrets insoupçonnés de leur physionomie. C’est en effet à ses travaux que l’on doit notamment l’explication de la formation des bulbes dans les galaxies spirales (lire encadré).
Experte en matière noire
Françoise Combes est également l’une des grandes expertes françaises ès matière noire. Car le destin des galaxies est intimement lié à celui de cette matière invisible qui constitue plus de 80 % de toute la matière contenue dans l’Univers et dont on n’a toujours pas découvert la nature. « La matière noire est absolument nécessaire pour que se soient formées les galaxies telles qu’on les observe aujourd’hui, explique-t-elle. Au tout début de l’Univers en effet, la matière ne peut pas se regrouper car elle est gênée par les photons. Mais la matière noire elle, qui n’interagit pas avec la lumière, peut sans peine s’effondrer par gravité. Elle forme des galaxies noires où la matière ordinaire s’agglutinera une fois libérée du joug des photons, quelque 380 000 ans après le big bang. »
Dès qu’elle se met à ausculter les galaxies, Françoise Combes se penche sur les différents modèles de matière noire, mais aussi sur des scénarios alternatifs. Car pour elle, pas de doute : la quête des wimps, ou neutralinos, ces particules théorisées dès 1985, va prendre un nouveau tournant. « Cela fait trente-cinq ans qu’on cherche ces wimps avec d’immenses détecteurs, toujours plus puissants. Il est temps de suivre d’autres pistes. » Des pistes qu’elle s’efforce de défricher en même temps qu’elle tente de découvrir ce qui se cache derrière la matière normale invisible. « On le sait moins, mais seulement 10 % de cette matière, dite baryonique, est visible : ce sont les étoiles, les galaxies, les amas de galaxies. » Le reste est certainement sous forme de gaz chaud ou froid, et selon les modèles qu’elle développe, une partie serait constituée de gaz moléculaire froid et sombre.
Qu’auriez-vous fait dans la vie, Françoise Combes, si vous n’aviez pas été l’un des grands explorateurs du cosmos ? « Oh vaste question... Chercheur en biologie peut-être ? Ou peintre ! J’aime beaucoup peindre des paysages et des portraits de style impressionniste, c’est très méditatif. » Elle n’osera pas nous montrer ses œuvres en direct, mais nous enverra par mail une très jolie toile. Le portrait d’une galaxie spirale. ♦
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Dans l’intimité des galaxies
La chercheuse a contribué à révéler avec plus de détails que jamais l’anatomie des galaxies. Dans les années 1970-80, alors que les premières simulations numériques sont réalisées en deux dimensions, elle a l’idée de les faire, plus réalistes, en trois dimensions. Une astuce qui offre un nouveau point de vue. Elle résout ainsi un mystère jusqu’alors inexpliqué : la formation d’un bulbe (sorte de renflement) dans les galaxies spirales. La clé de l’énigme est la barre centrale, sorte de forme allongée centrale où toutes les étoiles se rassemblent. « Cette barre soulève les étoiles dans la direction perpendiculaire au plan, explique-t-elle. De ce fait, les étoiles ne restent pas confinées dans un disque très mince mais prennent de l’altitude, ce qui forme un bulbe. » Ses simulations ont aussi montré comment la même barre précipite le gaz vers le centre, ce qui a pour effet d’alimenter le trou noir central. ♦
Commentaires
Bravo pour votre médaille.
Alain Xicluna le 10 Septembre 2020 à 18h21Bravo à Françoise Combes pour
floriandeschantes le 7 Octobre 2020 à 00h53--- je l'encourage et je lui
BAALOUDJ Bouguerra le 14 Octobre 2020 à 20h13Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS