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Comprendre les îlots de chaleur urbains
Temps de lecture : 9 minutesNous en faisons chaque été l’étouffante expérience, les grandes villes sont plus chaudes que les campagnes avoisinantes. Ce phénomène, dit d’îlots de chaleur urbains, se manifeste par plusieurs degrés d’écart qui se font particulièrement ressentir lors des canicules. Il s’amplifie la nuit, où l’agglomération parisienne peut pointer jusqu’à dix degrés de plus qu’aux alentours.
Une chaleur emmagasinée dans le bâti
« Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la pollution ne joue quasiment aucun rôle dans l’apparition des îlots de chaleur urbains, souligne Valéry Masson, directeur de l’équipe de recherche sur le climat en ville au Centre national de recherches météorologiques1 (CNRM). Ils sont bien davantage dus à la concentration des bâtiments et à l’imperméabilisation des surfaces. Les épisodes de mauvaise qualité de l’air arrivent souvent en même temps que les problèmes de chaleur, mais ils ne sont pas liés. Les îlots de chaleur urbains ne sont d’ailleurs pas des phénomènes climatiques, mais météorologiques : le vent, la pluie ou les nuages peuvent les réduire, alors qu’ils seront amplifiés en présence d’un fort anticyclone. »
La journée, des matières comme la pierre, la brique ou le béton captent facilement la chaleur. La hauteur et la densité des murs augmentent considérablement cette surface d’échange par rapport à un milieu peu bâti. La nuit, la chaleur emmagasinée est libérée dans l’atmosphère et empêche l’air de se refroidir aussi vite qu’à la campagne. Or, les transferts d’énergie dans l’atmosphère varient déjà naturellement au fil des heures : la nuit, l’air est brassé jusqu’à une altitude cinq fois moindre qu’en plein jour.
« Le chauffage et l’air chaud relâché par les climatisations jouent un rôle supplémentaire, mais plus faible, précise Valéry Masson. Le soleil de midi émet 800 watts par mètre carré, la moitié de cette énergie est stockée, puis libérée, par des surfaces telles que le béton. En comparaison, les émissions humaines correspondent à quelques dizaines de watts par mètre carré. Sur les nuits de métropoles comme Tokyo, cela peut tout de même représenter un degré supplémentaire. » Les îlots de chaleur urbains augmentent ainsi le nombre de nuits tropicales, où la température minimale reste supérieure à 20 degrés. Elles empêchent le corps de récupérer de la chaleur de la journée, ce qui, sur plusieurs jours, entraîne des répercussions médicales. Des projets comme H2C (Heat and health in cities, chaleur et santé dans les villes), piloté par Aude Lemonsu, chargée de recherche CNRS au CNRM, explorent actuellement les autres impacts sanitaires de cette surchauffe.
Stations météo urbaines et production participative
L’étude des îlots de chaleur urbains en tant que tels s’opère selon deux grands axes : les mesures sur le terrain et la modélisation numérique. « Les premières observations sur place remontent à Luke Howard, qui a découvert le phénomène à Londres en 1820, note Valéry Masson. Son étude s’est surtout développée à partir de la fin des années 1960, principalement au Japon et en Amérique du Nord avec la mise en place de capteurs pour comprendre les échanges de chaleur entre les villes et l’atmosphère. »
La présence de stations météo dans les centres-villes ne va en effet pas de soi. Elles sont historiquement liées aux activités aéronautiques, situées en périphérie, et ciblent une échelle régionale, plus large qu’une agglomération unique. Pour contrer ce problème, Valéry Masson a été l’investigateur principal du projet Capitoul2, au cours duquel un réseau expérimental de stations a été installé à Toulouse pendant un an en 2004. La collaboration s’est ensuite poursuivie avec la ville rose, avec l’installation d’un réseau pérenne à partir de 2017.
Valéry Masson a également participé en 2001 au projet Escompte3. Cette première grande expérience de météo urbaine de France était consacrée à l’observation de l’écoulement de la brise de mer et du vent des collines sur la ville de Marseille, tout en comparant ces données à différents modèles numériques. Une nouvelle campagne de grande envergure est prévue l’an prochain en région parisienne, avec des stations et mâts d’instruments, un avion, des télémètres et radiomètres, ainsi qu’un ballon captif.
La démocratisation des systèmes météo personnels et connectés représente également une source d’information précieuse pour les chercheurs. « Nous comptons environ 10 000 petites stations individuelles sur l’agglomération parisienne, que les gens placent un peu partout selon leurs besoins, précise Valéry Masson. En filtrant ces données et en les traitant avec une intelligence artificielle, nous pourrions reconstruire les îlots de chaleur. Dans la même idée, une doctorante du CNRM, Eva Marquès, travaille sur les températures mesurées par les voitures. »
Modéliser les îlots de chaleur à l’échelle du quartier
Au niveau des modèles météorologiques numériques, les exemples les plus courants présentent un maillage trop large pour étudier les îlots de chaleur urbains. Ils ne prennent pas non plus en compte les spécificités des villes.
Valéry Masson a donc conçu TEB (Town energy balance, balance énergétique urbaine) en 2000, le premier modèle adapté au milieu urbain. Les grilles à l’échelle du kilomètre se réduisent progressivement pour offrir une précision de cent mètres. L’objectif étant de parvenir à prévoir, d’ici une dizaine d’années, les températures à l’échelle des quartiers d’une ville. Ces avancées permettent déjà de tester différents scénarios d’adaptation aux îlots de chaleur urbains, ainsi qu’au changement climatique, et de démocratiser ces solutions auprès des décideurs et des municipalités.
« Avec la canicule de 2003, les collectivités territoriales ont compris que le problème de la chaleur ne se traitait pas en se focalisant sur la pollution, poursuit Valéry Masson. Elles prennent à présent davantage en compte les îlots de chaleur urbains. » Mais comment lutter contre eux, ou du moins en limiter les effets délétères ?
« Aucun remède miracle ne résoudra tout d’un coup, mais différentes actions peuvent être combinées en fonction des échelles visées et des entités impliquées, avance le chercheur. On trouve beaucoup de problématiques architecturales et de rénovation : améliorer l’isolation des bâtiments, les rendre plus traversants afin de les ventiler naturellement, mieux gérer, et si possible réduire, la climatisation… Certaines solutions sont même connues depuis l’Antiquité, mais ont été oubliées. »
Vers un urbanisme anti-canicule
Le chercheur prend ainsi le quartier EuroMéditerranée à Marseille en exemple, où l’orientation des rues rafraîchit la ville en été grâce à la bise de mer, mais sans laisser passer le froid du mistral l’hiver. L’étroitesse des rues de Toulouse aide également à se protéger des chaleurs estivales.
Toujours dans le domaine de l’urbanisme, la désimperméabilisation des surfaces reste un moyen sûr de limiter l’apparition d’îlots de chaleur urbains. Cette approche passe principalement par la végétalisation, qui présente aussi des avantages climatiques, sociaux et esthétiques. Les arbres caducs et non allergènes rafraîchissent leurs environs l’été et, une fois leurs feuilles perdues, bloquent peu les apports du soleil en hiver. « La végétalisation des villes demande cependant un apport important en eau et doit prendre en compte la présence du dense réseau de canalisations et de câbles souterrains, souligne Valéry Masson. Il faudrait décentraliser la gestion de l’eau et équiper les habitations de récupérateurs d’eau. Nous disposons de nombreuses solutions, fondées sur la nature, pour aider les villes. » ♦
À lire sur notre site
C’est chaud une ville la nuit
- 1. Unité CNRS/Météo-France.
- 2. Pour Canopy and aerosol particles interactions in Toulouse urban layer, interactions entre la canopée et les particules aérosols dans le niveau urbain de Toulouse. 2004 – 2005.
- 3. Pour Expérience sur site pour contraindre les modèles de pollution atmosphérique et de transport d’émission.
Voir aussi
Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.