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Réchauffement: comment s'y adapter ?
En septembre 2013, le Giec publiait le 1er volet de son 5e rapport, confirmant la tendance au réchauffement climatique sur Terre et l’impact de l’activité humaine sur le climat. Aujourd’hui 31 mars, les experts du climat livrent le 2e volet, consacré cette fois aux impacts de ce changement climatique sur les systèmes naturels et humains et aux adaptations envisageables pour réduire la vulnérabilité de ces derniers.
Directeur de l’Institut Pierre-Simon-Laplace, Hervé Le Treut précise : « Le groupe I s’intéresse à l’impact global de l’augmentation de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre et en déduit des impératifs globaux en matière de stabilisation du climat. En contrepoint, le groupe II fait un bilan des conséquences régionales et sectorielles et propose des chemins d’adaptation en tenant compte de l’ensemble des contraintes de développement. »
Anticiper... et s'adapter
Sur le fond, le constat dressé par quelque 250 scientifiques et fondé sur des milliers de publications renforce les conclusions du précédent rapport. Des zones polaires aux récifs coralliens en passant par les forêts ou les espaces côtiers, l’ensemble des milieux seront touchés par les effets du réchauffement global. Et ce sur tous les continents.
Certaines régions sont particulièrement concernées, comme l’Arctique, du fait d’un réchauffement plus fort, l’Afrique, qui fait face à des défis multiples, les petites îles, dont les ressources en eaux douces sont fragiles, et les grands deltas asiatiques, très sensibles aux risques accrus d’inondation.
Ces évolutions auront des conséquences graves sur les secteurs clés de l’économie (accès à l’eau, approvisionnements énergétiques, rendements agricoles, mouvements de population…), la santé, la pauvreté ou la sécurité des populations. « Ce rapport ne contient pas vraiment de scoop, avertit le climatologue, mais propose une vision de plus en plus approfondie des conséquences du réchauffement. Et sur de nombreux points apporte des éléments de connaissance dont on ne disposait pas en 2007, par exemple sur les conséquences de l’acidification des océans ou l’impact climatique sur les forêts. »
Outre un inventaire détaillé des impacts et des vulnérabilités, ce nouveau rapport du Giec examine également en profondeur l’ensemble des besoins d’adaptation, sans laisser de côté les contraintes ou les opportunités associées, qu’elles soient économiques, sociales ou politiques.
« Il n’y a pas de démarche unique valable pour toutes les régions du monde, précise Hervé Le Treut. Mais le message du Giec, tout en restant factuel, pose la question de l’adaptation tout en respectant certains principes tels le développement, la justice, l’égalité ou le maintien de la biodiversité. » Et d’ajouter : « C’est un manuel ou un guide pour construire des politiques respectueuses de ces principes dans la perspective des changements climatiques en cours. » Illustration avec trois problématiques abordées dans le document du Giec, celles du littoral, de l’océan et des forêts.
Les côtes en première ligne
Fonte des glaces, dilatation thermique des océans... le réchauffement climatique s’accompagne d’une hausse irrémédiable du niveau océanique. Revue à la hausse en septembre par le Giec, elle pourrait atteindre près d’un mètre en moyenne à l’horizon 2100. Accroissant les risques de submersion et d’érosion sur des côtes qui concentrent 60 % de la population mondiale. Selon le groupe de travail II, sans adaptation, des centaines de millions de personnes pourraient ainsi être concernées à l’horizon 2100, majoritairement en Asie.
Mais, en la matière, rien n’est simple. « Il n’y a pas de lien de causalité systématique entre la hausse du niveau marin et le recul du trait de côte », prévient Virginie Duvat-Magnan, du laboratoire Littoral, environnement et sociétés1, à La Rochelle. Et pour cause, celui-ci dépend également des apports sédimentaires, de la tectonique qui peut aussi bien accentuer que réduire l’élévation du niveau marin, et de bien d’autres facteurs. « Dans certains cas, comme cela a été démontré à Funafuti (Tuvalu), Taveuni (Fiji) ou Tubuai (Polynésie française), les cyclones apportent des sédiments à la côte. D’où un maintien du trait de côte, alors même que la mer monte », indique la géographe.
Une chose est sûre, les îles coralliennes sont porteuses d’enseignements majeurs sur les menaces qui pèsent sur les littoraux en général. Comme l’explique la scientifique, « leurs caractéristiques physiques placent ces territoires en première ligne des menaces associées au changement climatique, d’autant que les modes de vie de leur population et leur économie sont intimement liés aux ressources naturelles : eau, sol, végétation… Ces îles pourraient par conséquent devenir pionnières en termes d’adaptation au changement climatique ».
Autre certitude, les impacts de la hausse du niveau de la mer seront les plus marqués et l’adaptation la plus difficile là où les pressions d’origine humaine sont les plus fortes. De fait, comme l’explique Virginie Duvat-Magnan, « les aménagements perturbateurs de la dynamique côtière, comme les ports et les jetées, et l’urbanisation mal contrôlée ou l’extraction de sédiments ont sur les littoraux des effets déstabilisateurs que le réchauffement climatique exacerbera ».
Ainsi, un seul mot d’ordre possible : développement durable. « Il s’agit, dès à présent, de mieux gérer les ressources – eau, sol, foncier – et les écosystèmes – dunes, mangroves, coraux… Car améliorer la situation actuelle constitue déjà un acte d’adaptation », analyse la chercheuse.
Et ce sans forcément vouloir à tout prix conserver le trait de côte tel qu’il se présente aujourd’hui. Un exemple ? Sur le littoral aquitain, trois sites ateliers ont récemment été retenus par le ministère de l’Écologie pour expérimenter la relocalisation des biens et des activités. Par exemple, à Lacanau, 1 200 résidences établies sur une bande d’un kilomètre de large en bordure du littoral pourraient être relocalisées d’ici à 2050. De quoi rendre à la mer des territoires avant qu’elle ne les conquière d’elle-même !
Les océans touchés en profondeur
Le précédent rapport du Giec l’affirmait déjà : les océans seront fortement touchés par les changements climatiques en cours. Le nouvel opus le confirme, puisque, comme le précise Jean-Pierre Gattuso, de l’Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer2, « sept années de travail scientifique supplémentaires ont permis de réduire largement les incertitudes ».
Ainsi, la hausse des températures entraînera un déplacement de nombreuses espèces marines vers les hautes latitudes, avec notamment un impact négatif sur les potentiels de pêche aux latitudes tropicales. Pêcheries qui seront par ailleurs mises à mal sur l’ensemble des zones côtières du fait d’une combinaison entre les effets du réchauffement et d’autres facteurs tels la surpêche, la pollution ou l’eutrophisationFermerAugmentation excessive de la teneur en substances nutritives d’un milieu aquatique pouvant entraîner la prolifération des végétaux aquatiques. des milieux. « La vulnérabilité des zones côtières est patente, confirme le scientifique. Elles sont aujourd’hui affectées et continueront de l’être dans le futur. »
Mais l’apport principal du nouveau rapport concerne les conséquences de l’acidification des océans, directement liée à l’augmentation de la quantité de dioxyde de carbone dissous, qui commence à être précisées. Ainsi, elle devrait avoir un impact sur les organismes présentant un squelette ou une coquille calcaire, c’est-à-dire les coraux, les mollusques et les crustacés, entraînant des perturbations d’écosystèmes polaires et coralliens.
Comme l’explique Jean-Pierre Gattuso, « des expériences ont montré qu’une acidification des eaux renforce l’effet néfaste d’une hausse de la température sur la croissance des coraux, ce qui pourrait se traduire par une mortalité accrue, avec des conséquences pour les atolls, dont l’existence même est fondée sur l’existence de récifs coralliens ».
Par ailleurs, les scientifiques ont mis en évidence un effet de l’acidification sur le système sensoriel de certains poissons, incapables alors de détecter la présence d’un prédateur. Difficile d’en déduire un impact sur les écosystèmes marins, si ce n’est que ceux-ci vont également devoir faire face à une baisse de 9 % de la production océanique primaire – le phytoplancton – à la base de l’ensemble des chaînes alimentaires marines.
Dans ces conditions de fortes pressions sur les équilibres marins, une gestion durable de la pêche s’impose. À plus forte raison qu’il est impossible de contrer localement les migrations d’espèces, et encore moins l’augmentation de l’acidité des océans, que seule une réduction des émissions carbonées pourrait juguler.
Jean-Pierre Gattuso ajoute : « Même de nombreuses solutions dites de géo-ingénierie visant à faire diminuer artificiellement la température n’y changeraient rien, bien au contraire, puisque leur mise en œuvre ne ferait que ralentir encore la lutte contre les émissions de dioxyde de carbone. » Si tel est le cas, le réchauffement imprimera sa marque jusqu’au fond des océans.
Ça chauffe dans les forêts
Concernant les forêts, le rapport du groupe de travail II du Giec indique que ces effets devraient même se faire sentir plus tôt que ne le prévoyait le précédent opus. Une réalité qui invite dès aujourd’hui à prendre à bras-le-corps la gestion de ces espaces cruciaux pour l’économie. Car les faits sont là. Comme l’indique Paul Leadley, du laboratoire Écologie, systématique et évolution3, à Orsay, « en Espagne, en Italie ou en Suisse, par exemple, du fait d’épisodes de sécheresse et de chaleur répétés, on observe un dépérissement important de pins sylvestres ».
Le scientifique reste prudent : « Il y a certes toujours eu de tels épisodes, mais il est probable que leur augmentation résulte du changement climatique en cours. » De même que la migration d’insectes ravageurs qui dévastent désormais d’importantes surfaces dans les grandes forêts nord-américaines.
Jusqu’à il y a peu, les scientifiques avaient espéré que ces effets négatifs puissent être compensés par un autre : « L’augmentation de la concentration de dioxyde de carbone de l’air a tendance à accroître l’efficacité de la photosynthèse et à réduire les pertes d’eau par transpiration », détaille Paul Leadley. Ce qui explique en partie l’augmentation de croissance des arbres observée en Europe et en Amérique du Nord. Si ce n’est que le dernier rapport du Giec revoit à la baisse cet effet bénéfique relativement aux impacts négatifs du réchauffement…
Une chose est sûre, « il faut être extrêmement prudent quant aux conclusions à en tirer », souligne le scientifique. Par exemple, les effets du dioxyde de carbone sur la croissance des arbres ne sont pas uniformes d’une espèce à l’autre. « Et si un consortium de chercheurs a montré que l’ensemble des modèles inclinent au pessimisme quant aux effets d’une augmentation de température et d’une baisse de la pluviométrie sur le pin sylvestre en France, le tableau est moins clair au sujet d’autres essences comme le hêtre », poursuit-il. Incertitudes auxquelles s’ajoutent celles relatives aux modèles régionaux d’évolution du climat. Du reste, à l’heure actuelle, aucun suivi de l’évolution de l’ensemble des forêts du globe n’existe.
Il n’empêche, malgré des connaissances encore parcellaires, le rapport du Giec insiste sur la nécessité de tout faire dès à présent pour augmenter la capacité de résilience des forêts. « Il s’agit d’anticiper les situations de stress hydrique, d’éviter de compacter les sols, de favoriser la diversité des essences au sein des forêts, de même qu’une diversité génétique au sein de chaque espèce d’arbre. On peut éventuellement privilégier des arbres qui poussent vite, moins exposés aux impacts de long terme du réchauffement », indique Paul Leadley, qui ajoute : « Parce que certaines essences d'arbre se gèrent pendant cent ans ou plus, le milieu forestier est l’un des premiers à prendre conscience de la nécessité d’intégrer les effets du réchauffement climatique dans la gestion des espaces forestiers. » Nécessité que les évolutions en cours imposent bien au-delà des forêts...
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Auteur
Né en 1974, Mathieu Grousson est journaliste scientifique. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, il est également docteur en physique.
À lire / À voir
Des catastrophes... « naturelles » ?, Alexandre Magnan et Virginie Duvat, Le Pommier, coll. « Essais et documents », 312 p.