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TARA au chevet du corail
Sous la surface des océans, il est un empire en voie de disparition. Le corail, le plus grand bâtisseur du monde marin dont les constructions calcaires sont visibles depuis l’espace, est aujourd’hui confronté à des menaces qui mettent en péril des écosystèmes tout entiers.
On estime que plus de 20% de ces récifs ont été irrémédiablement détruits au cours des 50 dernières années et que plus de la moitié pourrait encore disparaître dans les années à venir. En cause : l’augmentation de la température et de l’acidification des océans à l’échelle mondiale qui perturbe le cycle de vie de cet organisme fragile.
À l’origine de ces reliefs se trouve un animal, le polype. Cet organisme se développe en colonie de milliards d’individus qui construisent autour d’eux un squelette calcaire. Au fil des générations, l’empilement de ces squelettes donnera naissance à de nouveaux récifs.
Afin tenter d’établir un diagnostic de la santé de ces récifs et de prévoir leur adaptation, une mission scientifique inédite s’est lancée il y a deux ans et demi à l’assaut de l’océan Pacifique. La goélette TARA construite à l’origine pour explorer les régions polaires embarque à son bord des équipes de chercheurs venues du monde entier et qui ont mis le cap sur plus de 40 archipel du Pacifique pour la plupart totalement inhabités. L’objectif : constituer la plus grande base de données jamais réalisée sur l’écosystème corallien en collectant quelques 40 000 échantillons.
Pour conduire cette aventure scientifique et maritime, les équipes de cette mission baptisée TARA Pacific s’appuient sur l’expertise du CRIOBE. Ce laboratoire de recherche situé sur l’île de Moorea en Polynésie Française est dirigé par Serge Planes qui est aussi le directeur scientifique de la mission TARA Pacific. Il étudie depuis 20 ans l’évolution des écosystèmes coralliens. Ses travaux sur la génétique du corail permettent aujourd’hui de mieux comprendre le fonctionnement de ces organismes complexes.
Serge Planes – Biologiste marin
Ce qui est intéressant sur une branche comme celle-ci, c’est que ces différents polypes sur cette même branche de corail sont exactement les mêmes d’un point de vue génétique sauf que l’on sait que, selon les zones d’une colonie, qui est plus ou moins éclairée, plus ou moins alimentée, l’expression génique va être un petit peu différente. Mais la base génétique, elle est exactement la même chez tous ces individus. Voilà, là on a une très belle image, on a vraiment une très, très belle image. Et donc là on voit bien toutes les tentacules du polype.
Toc, il est rentré et là, petit à petit, ils vont ressortit donc on va voir le polype vraiment se gonfler, quelque part. En fait il se remplie un peu d’eau pour se gonfler et avoir toutes les tentacules qui sortent et les plus efficaces possibles parce que au travers de ces tentacules il piège des particules dans l’eau, du plancton, dont ils se nourrissent également.
Durant les premiers mois de cette expédition, le navire met le cap sur l’archipel des Tuamotu, à l’est de Tahiti. Les scientifiques vont y explorer des récifs longtemps considérés comme préservés des bouleversements qui frappent les coraux. Le biologiste Valerino Parravincini a choisi de s’intéresser aux lagons de ces îles, les zones les plus exposées aux impacts humains.
Valeriano Parravincini – Biologiste marin
La plupart des atolls coralliens, surtout en Polynésie, ont une origine volcanique et sont caractérisés par la présence d’un lagon. Le lagon est l’endroit dans les atolls normalement le plus accessible et c’est lui qui est le plus impacté par l’homme, notamment la pêche, la pollution, etc...
Sous la surface, les plongeurs vont travailler à une profondeur maximale de 20m et mettre en œuvre des protocoles scientifiques très variés. Ils réalisent ainsi des analyses visuelles, des transects et des prélèvements d’échantillons qui seront ensuite étudiés dans plusieurs laboratoires. Autour de ces îles perdues au milieu du Pacifique, les chercheurs ont découvert des paysages inattendus. La structure des récifs donne à voir la richesse de l’architecture coralliennes que la vie semble avoir déjà déserté. Depuis quelques années, les coraux ont été frappés par une forte augmentation de la température de l’océan qui a provoqué un épisode de blanchissement sans précédent. Dans une mer devenue trop chaude, le corail subit un stress et se sépare de l’algue qui lui fournit les minéraux essentiels à sa survie. En quelques jours, il perd sa couleur et blanchit, pour finalement mourir. Un phénomène qui peut parfois être réversible mais après de violents réchauffements causés par le phénomène « El Niño », une partie de ces récifs a blanchi en quelques mois et l’équilibre du lagon a été ébranlé.
Valeriano Parravincini – Biologiste marin
Ce qui m’a surpris c’est de voir le taux de mortalité très important des coraux. C’est très variable, il y a des endroits qui sont en très bonne santé et il y a des endroits où on a une mortalité qu’on peut estimer à environ 70% de la communauté de coraux.
Face à l’ampleur de cette disparition, les scientifiques doivent développer de nouveaux outils pour collecter un maximum d’informations en un minimum de temps. Cette mission leur permet de tester l’hyperdiver, un prototype qui fonctionne un peu comme un scanner sous-marin. Il s’agit d’une caméra dite hyperspectrale qui permet de révéler les couleurs réfléchies par les coraux. Elle va cartographier le fond marin pour comptabiliser les éponges, les algues et les coraux avec une très grande précision.
Arjun Chennu – Biologiste marin
L’idée de base de l’hyperdiver vient de mon projet de thèse. J’essayai de créer un outil permettant de cartographier les milieux microbiens. Ils possèdent certains photo-pigments reconnaissables. Le défi était de créer une caméra pour voir l’invisible. On s’est dit que le corail était aussi un milieu microbien. Beaucoup de micro-algues vivent dans le corail. Elles lui donnent sa couleur et l’énergie dont il a besoin. Si l’on pouvait étudier cet habitat grâce à cette caméra, Ça pourrait être intéressant.
Chaque espèce présente sur le récif coralien possède un spectre lumineux spécifique. Une sorte de signature colorée. Au fil des jours et des plongées, c’est toute une bibliothèque du vivant que va enregistrer l’hyperdiver, qui pourra dans quelques mois analyser automatiquement ces données. En attendant, les équipes de TARA conditionnent des milliers d’échantillons de corail stockés à bord et qui seront expédiés dans les laboratoires partenaires. Leur étude permettra peut-être de mieux comprendre le fonctionnement de cet organisme encore méconnu et de soutenir la mise en place de politiques de conservation.
Serge Planes – Biologiste marin
Malgré les systèmes d’alerte qu’on a mis en place, on n’avait pas eu trop d’informations et là on se retrouve sur des zones où vraiment les récifs coralliens, sur les pentes externes, sur l’extérieur des récifs, ont été vraiment très abimés, très dégradés, avec beaucoup de mortalité. On est sur des récifs coralliens qui habituellement vont jusqu’à 50, 60% de recouvrement de corail vivant sur les pentes externes et dans certaines zones on est à moins de 5%. Donc on a vraiment eu des mortalités très importantes sur les récifs des Toamotu. Le corail de par sa capacité de résistance va toujours exister en tant que tel. Maintenant, ce que l’on peut avoir ce sont des transformations du récif corallien en un récif qui soit moins dominé par le corail et plus dominé par les algues. Cette transformation du récif corallien aura des conséquences sur les économies et même sur la survie de certaines sociétés insulaires.
En plongeant au chevet de ces coraux en péril, l’expédition TARA Pacific pourrait révéler les impacts de cette disparition sur les écosystèmes marins et les humains qui en dépendent. Une fois encore, la nature nous rappelle que notre destin est bien lié à celui de l’océan.
La goélette Tara au chevet du corail
Le corail, le plus grand bâtisseur du monde marin, est aujourd’hui confronté à des menaces qui se répercutent sur des écosystèmes tout entiers. Rejoignez l’équipe de scientifiques qui sillonne les eaux du Pacifique à bord de la goélette Tara afin mieux comprendre les dangers qui pèsent sur cet animal fragilisé.
Valeriano Parravincini (EPHE)
Centre de Recherche Insulaire et Observatoire de l’Environnement (CRIOBE)
CNRS / PSL / EPHE / Université Perpignan via Domitia
Arjun Chennu
Max Planck Institute for Marine Microbiology
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