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Fani Maoré, le volcan sous-marin qui a fait trembler Mayotte
Le 10 mai 2018, Mayotte s’est mise à trembler. Pendant plusieurs mois, des dizaines, voire des centaines de secousses par jour se sont succédé, mettant la population au bord de la panique. Le 15 mai, pic de cette activité tellurique, l’un des séismes a atteint une magnitude de 5,9 sur l’échelle de Richter provoquant quelques dégâts sur certains bâtiments. De nombreux habitants ont alors préféré passer la nuit hors de chez eux, bivouaquant dans les stades et autres zones ouvertes. Les Mahorais étaient d’autant plus alarmés que, de mémoire d’Homme, jamais un tel événement n’avait secoué cette île française située au nord-ouest de Madagascar.
Tremblements et stupeur
Du côté des scientifiques, la stupeur n’était pas moins grande. « Si quelqu’un nous avait dit, avant la crise, qu’il y aurait un séisme de 5,9 à Mayotte, on aurait eu du mal à le croire », admet Aline Peltier, volcanologue à l’Institut de physique du globe de Paris1 (IPGP) et directrice de l'Observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise, à La Réunion. Et pour cause, Mayotte n’était pas considérée comme un territoire à haut risque sismique. « La zone était assez peu étudiée car il ne s’y passait pas grand-chose », rappelle Éric Humler, président du comité des très grands équipements scientifiques et grandes infrastructures (TGIR) du CNRS.
« À ce moment-là, on ne savait pas si les séismes étaient d’origine volcanique ou d’origine tectonique, explique Vincent Famin, chercheur au Laboratoire GéoSciences Réunion2. Or, la différence était de taille. Si l’origine était volcanique, il était peu probable que des séismes plus puissants surviennent. En revanche, si elle était tectonique, toute magnitude était possible… » La mobilisation scientifique ne s’est pas fait attendre. Les grands instituts de recherche, dont le CNRS et huit universités françaises3 ont uni leurs efforts et, avec l’appui du gouvernement, ont réussi à monter une campagne de recherche en temps record et à installer des instruments de mesure. Objectifs premiers : trouver la cause des séismes et évaluer le risque pour la population mahoraise et comorienne.
Près de quatre ans après le lancement de cet effort de recherche, un premier bilan peut être présenté. Les chercheurs n’ont pas seulement trouvé la cause des séismes. Leurs travaux ont profondément modifié l’image que les géosciences se font des Comores. Mayotte, par exemple, loin d’être une île paisible et endormie comme on le pensait, s’est avérée être un haut lieu d’activité volcanique. Des résultats qui ont contribué à la mise en place du Réseau de surveillance sismologique et volcanique de Mayotte (Révosima), réseau opéré par l’IPGP et ses partenaires, et dont la partie opérationnelle de surveillance H24 est basée à l’Observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise. La revue savante Comptes Rendus Géoscience vient de consacrer un numéro spécial (en anglais) pour faire le point sur les nouvelles connaissances acquises lors de cette extraordinaire aventure scientifique.
Découverte d’un colosse hyperactif
En mai 2019, tout juste un an après le premier essaim de séismes, une équipe scientifique prenait la mer à bord du Marion Dufresne, dans le cadre de l’expédition Mayobs 1. Le navire océanographique mettait le cap vers l’est de Mayotte. En effet, c’est dans cette direction que les sismographes de Mayotte plaçaient l’épicentre des secousses. En outre, des pêcheurs mahorais avaient signalé avoir vu des poissons abyssaux flottant à la surface et senti des odeurs insolites dans cette direction.
C’est à 50 kilomètres de l’île que les chercheurs ont découvert le responsable des secousses. À 3 500 mètres de profondeur, un volcan présentait une activité frénétique, crachant jusqu’à 400 mètres cubes de lave par seconde. En quelques mois, Fani Maoré, comme on l’a baptisé par la suite, s’était fabriqué un cône de 800 mètres de hauteur et de 2 kilomètres de diamètre. Au cours de cette éruption qui a duré trois ans, il a expulsé pas moins de 6 kilomètres cubes de lave. « C’est la plus grosse éruption effusive qu’on connaisse après l’éruption du Laki, en Islande, en 1783 », affirme Aline Peltier.
Les chercheurs tenaient donc leur coupable. Les séismes de Mayotte étaient bien liés à l’activité gargantuesque de ce colosse englouti. Deux mécanismes expliquent ces secousses ressenties par la population. Les premières secousses, celles de mai 2018, ont été produites par la remontée de magma dans une écorce terrestre fracturée. Le magma a fait de la surpression et cassé la roche afin de se frayer un passage vers la surface océanique. Les secousses suivantes, à partir d’août 2018, résultent probablement de l’effondrement de la chambre magmatique après s’être vidée de sa lave pour alimenter le volcan », explique Jérôme Van der Woerd, chercheur à l’Institut Terre et environnement de Strasbourg4.
Fait qui a surpris les chercheurs : l’origine des séismes se trouvait entre 30 et 50 kilomètres sous la surface. Les chambres et conduits magmatiques de Fani Maoré se trouvaient donc dans le manteau terrestre à une profondeur rarement observée. Les volumes de magma en jeu étaient tels qu’au cours de cette éruption sous-marine, l’île de Mayotte s’est déplacée de 24 centimètres vers l’est et s’est enfoncée de 19 centimètres.
Des volcans par centaines
La découverte du volcan était loin de marquer la fin de la mission scientifique. Les chercheurs étaient bien conscients que, si les secousses de 2018 les avaient pris au dépourvu, c’est parce que leur connaissance de la région était incomplète. C’est pour combler ces lacunes, mais aussi pour surveiller l’activité de Fani Maoré, qu’une trentaine de campagnes océanographiques se sont succédé au cours des trois années suivantes.
L’une des plus ambitieuses : la mission Sismaoré. Celle-ci réservait bien des surprises. « Le but de Sismaoré était d’élargir le champ de vision en étudiant le volcanisme à l’échelle des Comores », explique Vincent Famin. Résultat : les relevés bathymétriques ont révélé l’existence non pas de dizaines, mais bien de centaines de volcans sous-marins. Une province volcanique inconnue s’étalait sur un corridor de 600 kilomètres de long et 200 kilomètres de large. Les chercheurs n’ont pas laissé passer l’occasion pour récupérer des échantillons de roche et réaliser des carottages qui permettront d’en savoir plus sur l’âge et la formation de cette foule de volcans. « Les résultats sont en train d’être analysés », affirme Jérôme Van der Woerd. Mais déjà, les chercheurs ont daté certains dépôts volcaniques sur les îles de Mohéli et d’Anjouan à 8 000 et 9 000 ans.
Loin de l’image d’un volcanisme réduit au seul volcan actif, le Kartala, les Comores se révèlent être le siège d’une activité continue qui inclue de grandes étendues sous-marines. Pour les chercheurs, une conclusion s’imposait : la tectonique des plaques et toute l’histoire de la formation des Comores étaient à revoir.
On a longtemps cru, en effet, que l’archipel se trouvait au beau milieu de la plaque somalienne, une plaque qui, en s’écartant de l’Afrique, provoque le déchirement du célèbre rift est-africain. On attribuait alors la formation des Comores à un point chaud, un de ces épanchements de magma qui perforent la croûte terrestre et sont à l’origine d’archipels comme Hawaï ou les Açores.
Cette théorie, déjà mal en point en 2018, s’est effondrée avec l’éruption de Fani Maoré et les campagnes de recherche qui ont suivi. Les chercheurs pensent à présent que les Comores se trouvent en fait sur une zone fragile de la croûte océanique qui marque une limite diffuse entre la plaque somalienne et une deuxième plaque, plus petite, appelée Lwandle. D’après Vincent Famin, ces deux plaques coulissantes, en se déplaçant dans des directions contraires, provoquent des remontées de magma. « Le volcanisme des Comores est un volcanisme de limite de plaques, affirme-t-il. Nous pensons que cette zone volcanique est en fait la continuation du rift est-africain qui se prolonge ensuite vers Madagascar. Il va nous falloir dater et analyser les roches recueillies pour le prouver. »
Comme toujours, à nouvelle découverte, nouvelles questions. « Nous devons encore reconstruire l’histoire du volcanisme de cette région. Il nous reste aussi à bien établir le mouvement relatif des deux plaques et voir s’il a changé au cours du temps », affirme Jérôme Van Der Woerd.
Une île sous haute surveillance
Lors de la mission Mayobs 1 les chercheurs ont fait une autre découverte tout aussi inattendue. Les images sous-marines ont révélé la présence d’importantes remontées de gaz provenant du plancher océanique sur une zone appelée Fer à Cheval, à 10 kilomètres de Mayotte. Ces remontées ont-elles toujours existé ? Sont-elles le signe d’un dégazage de magma profond sous cette structure ? Sont-elles annonciatrices d’une nouvelle éruption ? « Aucun scénario n’est exclu. Ce que l’on sait c’est que, entre les campagnes océanographiques Mayobs 1 et Mayobs 23, leur nombre n’a cessé d’augmenter. En tout cas, si une nouvelle éruption plus proche de Mayotte survenait, cela pourrait être dangereux pour la population », prévient Aline Peltier.
« Personne ne peut dire ce qui va se passer, s’inquiète Jérôme Van Der Woerd. La seule consolation, c’est que le volcanisme prévient ». En effet, pas d’éruption sans bruits avant-coureurs. Mais encore faut-il être à l’écoute. Voilà pourquoi a été créé Réseau de surveillance sismologique et volcanique de Mayotte (Révosima). Ce réseau opéré par l’IPGP et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) est le fruit d’une collaboration entre une trentaine d’instituts de recherche, dont le CNRS, d’universités et de ministères.
Désormais, Mayotte compte onze stations sismiques permanentes et neuf bornes géodésiques, points de repère GPS qui permettent de suivre en continu la déformation et les déplacements de la surface terrestre. Elle compte aussi une station pour mesurer le bullage, ces points par où des gaz sortent de la Terre. L’ensemble de ces données arrivent en temps réel à l’Observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise et assurent la surveillance H24 de la zone.
Mais ce n’est pas tout. Près de Fani Maoré et sur le Fer à Cheval ont été placés des sismomètres de fond de mer, dont les enregistrements sont relevés lors de chaque campagne océanographique. Deux gliders, des planeurs sous-marins autonomes, surveillent constamment la zone des panaches. Enfin, une station sous-marine appelée Marmor5 est en projet. Pilotée par l’Ifremer et placée sur le Fer à Cheval, elle réalisera de la surveillance permanente et continue de l’activité sismo-volcanique et des phénomènes associés tels que les panaches.
« Tous les matins, je reçois dans mon mail le bulletin du Révosima. Je peux alors voir si ça a tremblé à Mayotte. Si c’est le cas, le bulletin m’informe de la magnitude du séisme, ainsi que de l’emplacement et de la profondeur de la source, se réjouit Éric Humler, l’un des architectes de la réponse scientifique à la crise sismique de 2018. Le Révosima est un bel exemple d’intégration de diverses disciplines. C’est un modèle pour savoir comment réagir en cas de crise. Un modèle qui peut valoir au-delà de Mayotte, par exemple aux Antilles, où il y a aussi de l’activité volcanique et tectonique sous-marine. » Une chose est sûre : si un autre épisode sismique ou volcanique se déclare à Mayotte, les scientifiques seront parés à la manœuvre. ♦
Référence
"The Mayotte seismo-volcanic crisis of 2018-2021 in the Comoros archipelago (Mozambique channel)", Jérôme Van der Woerd, Vincent Famin et Éric Humler (Eds.), Comptes rendus Géoscience, tome 354, n° S2, 2022.
À lire sur notre site
Le volcan, le savant et le politique (point de vue par Éric Humler)
Un an après son éruption, les leçons du volcan Hunga Tonga
- 1. Unité CNRS/Institut de physique du globe.
- 2. Unité de recherche intégrée à l’Institut de physique du globe de Paris.
- 3. CNRS, IPGP, BRGM, Ifremer, Cnes, IGN, Service hydrographique et océanographique de la Marine (Shom) et 8 universités (Paris, Strasbourg, Grenoble Alpes, Clermont Auvergne, La Réunion, Paul Sabatier, Bretagne Occidentale et La Rochelle).
- 4. Unité CNRS/Université de Strasbourg.
- 5. Marine Advanced geophysical Research equipment and Mayotte multidisciplinary Observatory for research and Response.
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