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Un continent de déchets au milieu de l’océan
« On pouvait ramasser le plastique à la main, c’est hallucinant ! » Patrick Deixonne, navigateur et coordinateur de l’expédition « 7e continent », n’en est toujours pas revenu. Du 5 au 25 mai derniers, avec quatre scientifiques, il est parti explorer la mer de plastique découverte en 1997 dans l’Atlantique Nord, à bord d’un catamaran de 18 mètres. Leur but ? Caractériser et analyser l’ampleur des plaques de déchets concentrés dans cette zone.
Jetés sur les plages et dans les fleuves, ces détritus sont brassés par les courants océaniques. Après plusieurs années de dérive, ils s’agglutinent dans d’énormes vortex océaniques, les gyres, pour ne plus jamais en sortir. Parmi les 300 millions de tonnes de plastique que notre planète produit chaque année, 10 % se retrouvent dans les océans, provoquant des plaques de déchets pouvant atteindre jusqu’à 30 mètres de profondeur. Cinq gyres composent ainsi le 7e continent de déchets, représentant six fois la taille de la France… Face à cette catastrophe que l’on retrouve dans les océans et mers du monde entier, les scientifiques se mobilisent. L’étude de la pollution plastique est ainsi l’objectif principal de la mission Tara Méditerranée, qui a débuté en mai et doit s’achever en novembre après un tour complet du Bassin méditerranéen.
Une pollution invisible et diffuse
« Bien que la pollution soit très concentrée, on ne peut quand même pas marcher dessus », précise Patrick Deixonne. Car la pollution plastique océanique est plus insidieuse. Le 7e continent, loin d’être solide, est composé en grande majorité de micro-fragments de plastique noyés dans les eaux océaniques. Miettes de déchets, dégradés au fil du temps par la mer et le soleil. « Plus on s’approche de la zone du gyre et plus on observe une quantité importante de ces paillettes de plastique sous la surface de l’eau. Mais beaucoup sont pratiquement invisibles à l’œil nu », raconte Alexandra Ter Halle, chimiste à l’IMRCP1. Présente à bord du voilier-laboratoire, elle a pour mission de collecter et d’analyser la pollution présente sur les restes plastique.
« L’objectif scientifique a pris de l’ampleur sur cette deuxième expédition, qui fait suite à celle menée en 2013 dans le Pacifique », explique-t-elle. Ainsi, l’analyse des fragments a cette fois-ci été approfondie, pour, par exemple, caractériser les polluants chimiques présents sur les détritus. « Les plastiques effectuent tout un trajet à travers les océans. On cherche à savoir dans quelle mesure ils relarguent ces polluants qui les composent (hydrocarbures, métaux lourds, PCB, bisphénol A…) dans la mer », indique Alexandra Ter Halle.
Des dommages environnementaux importants
Les analyses scientifiques vont permettre de mieux cerner les conséquences sans précédents d’une telle pollution. On estime déjà qu’environ 100 000 mammifères marins et 1 million d’oiseaux meurent chaque année piégés ou empoisonnés par cette soupe de plastique. « Il y aussi de la vie qui se développe sur ces déchets. On appelle l’ensemble ces nouveaux organismes la plastisphère. Ce sont des bactéries qui naturellement n’apparaîtraient pas à la surface des océans », explique Alexandra Ter Halle. Un nouvel écosystème, à la dangerosité inconnue… Si rien n’est fait pour endiguer cette pollution, d’ici vingt ans, le 7e continent atteindra la taille de l’Europe. Et on estime qu’un nettoyage complet des océans prendrait 80 000 ans ! « J’ai du mal à imaginer le nettoyage possible… Cette pollution nous concerne tous, car elle provient essentiellement de ce que nous jetons autour des fleuves et des rivières. Le plus important reste donc la prévention, à faire bien en amont », conclut la chercheuse.
- 1. Interactions moléculaires et réactivité chimique et photochimique (CNRS/Univ. Toulouse-III Paul-Sabatier).
Coulisses
Alexandra Ter Halle est chargée de recherche au CNRS au sein de l’équipe Systèmes moléculaires organisés et développement durable. Elle a notamment développé, dans son laboratoire, les capteurs de polluants utilisés pour l’expédition « 7e continent ».
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Auteur
Léa Galanopoulo est journaliste scientifique indépendante.
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