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La mer, Eldorado du renouvelable ?

Dossier
Paru le 18.04.2023
L’océan, un monde à découvrir

La mer, Eldorado du renouvelable ?

07.09.2015, par
Eolien offshore flottant
Le projet Floatgen ouvre la voie de l’éolien en mers profondes avec la première éolienne flottante testée au large des côtes françaises.
Houle, marées et courants marins pourront-ils un jour fournir les besoins nécessaires à la transition énergétique ? C'est l’objet du colloque européen EWTEC qui se tient en ce moment à Nantes.

Imaginez la mer avec des dizaines de turbines géantes, flottant ou au fond de l’eau, captant l’énergie des courants, des marées et des vagues. Poissons, algues et coquillages évolueraient sans se soucier de ces machines de plusieurs centaines de tonnes, tandis que des câbles sous-marins approvisionneraient l’humanité en électricité. Une énergie propre, respectueuse de la nature et de ses contraintes. L’idée a de quoi séduire : Jules Verne l’imaginait déjà dans son ouvrage Vingt mille lieues sous les mers.

La mer, puissante ressource énergétique, peut-elle être domestiquée pour satisfaire les besoins des hommes ? C’est ce à quoi rêvent plusieurs équipes de chercheurs, que les curieux pourront peut-être croiser au large du Croisic. C’est en effet ici, sur 1 km2, que s’étend le site d’expérimentation SEM-REV. Inauguré officiellement fin août 2015 et piloté par l’École centrale Nantes et le CNRS, il est le premier site français d’essai en mer. Raccordé au réseau électrique (puissance nominale de 8 MW), il permet d’effectuer des tests grandeur nature multitechnologies. Une opportunité inouïe que n’avaient pas les chercheurs en énergie marine des premières heures. Dès 2016, un prototype d’éolienne flottante d’une puissance de 2,3 MW sera installé sur le site1.

L’énergie marine, un domaine en plein essor

En France, le premier brevet connu sur l’exploitation des vagues date du 12 juillet 1799, déposé par les Girard, père et fils. En 1966, la toute première usine marémotrice au monde est inaugurée par Charles de Gaulle sur la Rance. D’une capacité de 240 MW, elle produit 4 % de l’électricité bretonne. « Dans les années 1970, après le choc pétrolier, il y eut un véritable engouement pour les énergies marines. Il retomba quand on réalisa que les énergies fossiles demeureraient accessibles et peu coûteuses », rappelle Alain Clément, chercheur au Laboratoire d’hydrodynamique, d’énergétique et d’environnement atmosphérique (LHEEA)2.

Aujourd’hui, si aucune énergie marine renouvelable (EMR) n’a atteint un développement de stade industriel en France, hormis ce site de la Rance, les projets relatifs à toutes les EMR foisonnent : énergies des vagues (houlomotrices), énergies des marées (marémotrices), énergies des courants (hydroliennes), énergies thermiques (issues de la différence de température des eaux), énergies des estuaires (ou osmotiques, issues des différences de salinité). À ces cinq grandes catégories s’ajoute l’éolien offshore, en pleine mer : il peut être flottant ou posé au fond de l’eau avec la turbine émergée.

Usine marémotrice de la Rance
À l’embouchure du fleuve côtier de la Rance, cette usine marémotrice utilise la force de la marée, comme le faisaient anciennement les moulins, pour produire de l’électricité. Orientables, les pales de ses 24 turbines fonctionnent à marée montante et descendante.
Usine marémotrice de la Rance
À l’embouchure du fleuve côtier de la Rance, cette usine marémotrice utilise la force de la marée, comme le faisaient anciennement les moulins, pour produire de l’électricité. Orientables, les pales de ses 24 turbines fonctionnent à marée montante et descendante.

L’intérêt pour l’énergie de la houle ne date pas d’hier. « On dénombre plus de 3 000 brevets déposés depuis le début du XXe siècle : cela atteste bien de la vitalité des recherches sur les énergies des vagues », souligne avec enthousiasme Aurélien Babarit, qui dirige l’équipe Énergies marines et océans (EMO) du LHEEA. Les chercheurs du LHEEA ont fait partie des pionniers de la récupération de l’énergie des vagues, dès la fin des années 1970. Parmi eux, Alain Clément a créé en 2003 avec son équipe le Système électrique autonome de récupération de l’énergie des vagues, SEAREV, dont le brevet fut déposé par le CNRS3. Cette machine pouvait récupérer l’énergie de la houle grâce à une roue pendulaire et une génératrice à l’intérieur d’un flotteur clos, mais n’a pu atteindre le stade du prototype, faute de financeur industriel.

Selon une étude d’EDF parue en 2012, les énergies renouvelables représentaient 4,6 % de la production électrique mondiale, dont seulement 0,01 % d’énergies marines. Mais, à l’horizon 2050, ces dernières pourraient occuper une place non négligeable dans un bouquet énergétique constitué à 30 % d’énergies renouvelables (solaire, photovoltaïque, éolienne). À condition de pouvoir les développer dans une optique commerciale.

Prototype SEAREV
Vue d’artiste de la première génération de SEAREV, système électrique autonome de récupération de l’énergie des vagues (2003-2006).
Prototype SEAREV
Vue d’artiste de la première génération de SEAREV, système électrique autonome de récupération de l’énergie des vagues (2003-2006).

Un enjeu de taille : rendre ces technologies compétitives

« À ce jour, seule la technologie basée sur les éoliennes posées est assez mature industriellement. L’hydrolien est en phase de développement poussé tout comme l’éolien flottant. L’enjeu de la recherche actuelle est de réduire les coûts afin de permettre l’émergence d’un vrai marché des EMR », souligne Alain Dollet, directeur adjoint scientifique de la cellule « Énergie » de l’Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes (Insis) du CNRS.

Or, pour comprendre comment réduire les coûts, il faut expérimenter. C’est ce à quoi se consacrent les équipes du LHEEA. Ce pôle d’expertise sur l’hydrodynamique, le génie océanique et les EMR, qui est constitué de 120 personnes dont cinq équipes de recherche, dispose d’importants moyens d’expérimentation. « Le cœur de notre métier est l’hydrodynamique en secteur marin. Nous cherchons à répondre aux questions posées par les industriels, tout en développant des recherches amont basées sur la simulation numérique ainsi que l’expérimentation sur des modèles réduits en bassin d’essai, ou en site naturel sur des prototypes à l’échelle 1 », souligne Pierre Ferrant, directeur du laboratoire.

L’une des priorités est d’améliorer la compétitivité économique de ces technologies. Ainsi, de nombreux projets encore expérimentaux, comme dans le cas des dispositifs houlomoteurs, sont pensés non pas individuellement mais dans une perspective de mutualisation des efforts et des capacités. « Par exemple, on réfléchit à l’idée d’une centrale multi-usages, comme une digue avec une houlomotrice, afin d’obtenir un meilleur partage de l’espace, notamment pour l’installation des câbles et de la maintenance », explique Aurélien Babarit qui, comme tous les spécialistes des EMR, insiste sur l’importance des paramètres d’intervention en milieu marin. « Nous travaillons actuellement sur l’évolution des propriétés mécaniques des câbles dans le temps, la biocolonisationFermerColonisation par la faune et la flore marine des structures (machines, câbles) qui peut notamment influencer le poids des objets. des structures, mais aussi les interactions vent-vagues », souligne Jean-Christophe Gilloteaux, ingénieur spécialiste de l’éolien en mer au LHEEA.

Energie houlomotrice
Le dispositif Aquamarine Power capte l’énergie des vagues du littoral pour la transformer en électricité propre et durable.
Energie houlomotrice
Le dispositif Aquamarine Power capte l’énergie des vagues du littoral pour la transformer en électricité propre et durable.

Dans le cadre des hydroliennes, de véritables moulins à eau immergés et posés ou ancrés dans les fonds marins, plusieurs fermes pilotes expérimentales sont à l’ordre du jour dans des zones côtières comme le raz Blanchard, le raz Barfleur, en Basse-Normandie, ou le passage du Fromveur en Bretagne. « Actuellement, il existe des prototypes mais la technologie n’est pas encore financièrement viable », affirme Jean-Luc Achard, directeur de recherche au Laboratoire des écoulements géophysiques et industriels (LEGI)4, pionnier des énergies hydrauliques en France. Il est à l’origine du projet Hydrolienne à axe de rotation vertical stabilisé (Harvest) en 2001 et qui a donné naissance à la start-up Hydroquest en 2011.

« L’aspect commercial va sans doute se développer dans un futur proche », espère Jean-François Daviau, P-DG de l’entreprise Sabella, qui installe actuellement son hydrolienne D10 dans le Fromveur, près des côtes de l’île d’Ouessant, pour laquelle elle pourrait produire de l’électricité dès cette année. Forte de ses 17 mètres de long et de 450 tonnes, la D10 a coûté environ 13,8 millions d’euros depuis sa conception en 2000. Ces technologies demandent par ailleurs un travail titanesque de modélisation en amont.

Hydrolienne D10 Sabella
Sabella D10 est la première hydrolienne raccordée au réseau électrique français. Elle a été posée dans le passage du Fromveur, un courant marin proche de l’île d’Ouessant, pour alimenter celle-ci en électricité.
Hydrolienne D10 Sabella
Sabella D10 est la première hydrolienne raccordée au réseau électrique français. Elle a été posée dans le passage du Fromveur, un courant marin proche de l’île d’Ouessant, pour alimenter celle-ci en électricité.

Les chercheurs utilisent largement la mécanique des fluides numériques, computational fluid dynamics (CFD) en anglais, une compétence cruciale dans le laboratoire nantais. « Nous créons et utilisons des logiciels de simulation spécifiques aux concepts hydrodynamiques : par exemple, comment la vague peut-elle affecter une structure posée au fond de l’eau. Nous utilisons des supercalculateurs de pointe, car nous résolvons des problèmes comportant des millions d’inconnues. Ces logiciels sont développés sur des durées de dix à quinze ans, en partenariat avec des start-ups issues du laboratoire qui en assurent le transfert vers les industriels », explique David Le Touzé, responsable de l’équipe Hydrodynamique, interfaces, interactions (H2I) au LHEEA.

Changement d’échelle : à quelques mètres des bureaux où les chercheurs modélisent au millième de centimètre cube près, un énorme espace clos bruisse d’un intense activité. Ce sont de grands bassins couverts qui sont mis à disposition des équipes. Ces bassins, totalisant une surface de plusieurs milliers de mètres carrés, permettent de tester des modèles réduits de navire, de plateformes offshore encore de systèmes de récupération des énergies marines en reproduisant les conditions environnementales (vagues, vent, courant). Les essais en cours concernent plusieurs projets dont ceux portés par des industriels tels que DCNS ou Alstom.

« De telles installations sont uniques en France et rares en Europe. Elles sont utilisées dans le cadre de projets de recherche expérimentaux, pour la validation des simulations numériques, pour le test de nouveaux concepts issus des industriels, ainsi que pour l’enseignement », note Pierre-Emmanuel Guillerm, responsable des bassins. Ce hall d’expérimentation pourra d’ailleurs être visité lors de la conférence EWTEC (lire En coulisses ci-dessous).

Grand hall hydrodynamique de l'Ecole Centrale de Nantes
Étude, réalisée dans le grand hall hydrodynamique de l’École centrale de Nantes, de la réponse dynamique d’une éolienne flottante soumise à l’action combinée de la houle et du vent.
Grand hall hydrodynamique de l'Ecole Centrale de Nantes
Étude, réalisée dans le grand hall hydrodynamique de l’École centrale de Nantes, de la réponse dynamique d’une éolienne flottante soumise à l’action combinée de la houle et du vent.

Cependant, ces essais ne permettent pas de prendre en compte tous les paramètres, comme les impacts sociaux et environnementaux qu’il faut étudier sur la durée et au cas par cas. Les structures pourraient avoir une influence sur la faune et la flore, mais devront aussi coexister avec d’autres usages de la mer, comme la pêche5, prendre en compte le patrimoine historique, les zones littorales protégées… « Dans beaucoup de cultures, la mer est un espace sacré. Même au sens esthétique, on devra s’habituer à voir des éoliennes sur les vagues. Cela demande des recherches et beaucoup d’information participative », souligne Alain Clément.

Un intérêt croissant des institutions

Pour Jean-Luc Achard, le besoin d’un débouché commercial rapide freine parfois les moyens alloués aux recherches. Ce serait aussi l’une des raisons pour lesquelles des technologies de pointe comme l’énergie thermique, fondée sur la température de l’eau de surface et donc surtout exploitable en zones tropicales, ou encore la récupération des énergies dans les estuaires demeurent à l’état exploratoire malgré, selon lui, un très fort potentiel. Le cas est similaire pour les énergies issues des gradients de salinité, considérées actuellement comme peu rentables et trop coûteuses. Ce qui n’empêche pas des avancées considérables et des recherches créatives.

J’aime l’aspect
novateur de
ces recherches.
L’industrie peut
prendre son essor
à n’importe
quel moment
et il faudra
alors être prêt.

Titulaire d’une bourse du European Research Council en 2014 (ERC), Alessandro Siria, du Laboratoire de physique statistique (LPS)6, a mis au point un nouveau concept avec son équipe dans le cadre du projet Osmopower, qui est développé par la start-up Sweech Energy. Il repose principalement sur un nouveau type de membrane séparant l’eau salée de l’eau douce, qui permet la génération directe de charges électriques par diffusio-osmose. « On peut très bien imaginer ce procédé avec une usine de dessalement par exemple », souligne-t-il. Le chercheur déposera en septembre un brevet au CNRS sur un nouveau matériau qu’il tient actuellement secret.

En dépit des obstacles inhérents à tout domaine émergent (de niche), l’intérêt croissant pour les EMR, notamment au niveau institutionnel, comme en témoigne la création de l’institut France-Énergie-Marines (FEM), semble plutôt être un signe encourageant. Alain Dollet espère pour 2016 la création par le CNRS d’un groupement de recherche multidisciplinaire sur cette thématique féconde. À Nantes, le LHEEA peut déjà s’enorgueillir d’une vingtaine de doctorants et post-doctorants dédiés aux EMR. « J’aime l’aspect novateur de ces recherches. L’industrie peut prendre son essor à n’importe quel moment et il faudra alors être prêt », s’enthousiasme Paul-Émile Meunier, doctorant de première année, qui travaille sur les systèmes houlomoteurs. « Ces sujets touchent à plusieurs domaines et posent des défis quant à notre consommation énergétique. De plus, dans certains secteurs comme l’éolien offshore, il commence à y avoir des débouchés », souligne Marie Cathelain, doctorante en deuxième année qui effectue sa thèse sur l’interaction entre la houle et le vent. Ces passionnés des vagues et de l’océan espèrent bien faire révéler à la mer ses secrets.

Plus d’informations :

- www.ewtec.org
- www.ec-nantes.fr
- www.hydroquest.net/fr
- www.france-energies-marines.org

Notes
  • 1. Prototype développé par la société française Ideol et financé dans le cadre du projet européen Floatgen.
  • 2. Unité CNRS/Centrale Nantes.
  • 3. Et auquel le CNRS consacra un film :Une vague d’énergie : http://bit.ly/1K0SrwF
  • 4. Unité CNRS/Grenoble INP/UJF.
  • 5. Lire notamment l’article consacré aux conflits en Basse-Normandie sur l’éolienne offshore, issu d’un blog publié par Mediapart : http://bit.ly/1hPSMeZ
  • 6. Unité CNRS/ENS Paris/UPMC/Univ. Paris Diderot.
Aller plus loin

Coulisses

La European Wave and Tidal Energy Conference (EWTEC) se tiendra à la Cité des Congrès de Nantes du 6 au 11 septembre. Cet événement bisannuel (prochaine conférence à Cork en 2017) d’experts mondiaux sur les énergies des vagues et des courants a été organisé à Nantes pour sa première édition en France en raison des activités pionnières du Laboratoire de recherche en hydrodynamique, énergétique et environnement atmosphérique. Le congrès rassemblera non seulement des scientifiques (42 pays concernés) qui présenteront leurs travaux (presque 300 articles sélectionnés), mais aussi des industriels et professionnels des énergies renouvelables, de la modélisation, de l’électricité et des industries de services liées à ces domaines. La grande nouveauté de ce congrès réside dans l’exposition pédagogique gratuite (du 6 au 10 septembre) préparée par les chercheurs et doctorants de l’École centrale de Nantes pour le grand public.

Auteur

Clea Chakraverty

Née en 1983, Clea Chakraverty est journaliste, et plus particulièrement spécialiste de l’Inde où elle a vécu sept ans. Lauréate de la bourse journaliste Lagardère 2013, elle écrit désormais depuis Paris pour la presse magazine, avec un faible pour les reportages traitant des phénomènes de mutations sociales. Titulaire d’un master 2 d’ethnologie (Univ. Paris Descartes) et associée au Centre d’...

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