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Climat : « C'est aussi à l'échelle des villes que la transition va se jouer »
Quels sont les grands défis de cette 28e Conférence des Parties (COP28) qui se tient à Dubaï, aux Émirats arabes unis, du 30 novembre au 12 décembre ?
Robert Vautard1. C’est un peu toujours la même chose : nous nous réunissons pour savoir comment nous allons appliquer l’Accord de Paris conclu en 2015, qui prévoit de limiter à 1,5 °C l’élévation des températures moyennes globales à long terme. Est-ce qu’on fait ce travail chacun de notre côté ou bien tous ensemble ? Évidemment, cela implique de nombreuses négociations autour du financement, des technologies à déployer et même de transferts de technologies. Mais force est de constater que les choses ne bougent pas tellement au niveau des politiques climatiques. Pour vous donner un ordre d’idée, si nous appliquons celles qui sont déjà décidées et mises en œuvre pour certaines, sans effort supplémentaire, on arrive à peu près à 3 °C d’augmentation moyenne des températures globales avec une incertitude d’environ un demi degré d’ici la fin du siècle. Si, en revanche, les négociations sont conduites avec succès, le Programme des Nations unies pour l’environnement (Unep) estime qu’on pourrait arriver à 2,5 °C. Mais nous sommes encore loin des 1,5 °C de l’Accord de Paris.
Un autre enjeu reposera sur les discussions autour de la question des investissements dans les énergies fossiles et notre désengagement vis-à-vis de ces dernières. Le tout est de savoir si cela se fera de manière progressive ou soudaine et si cela doit impérativement impliquer l’emploi de technologies de type captage et séquestration du carbone (carbon and capture storage ou CCS en anglais, Ndlr).
Vous dites qu’on est loin du compte en ce qui concerne la réduction des émissions de CO2 alors que cela fait des décennies que les négociations sont en cours. Est-ce que des grandes réunions internationales comme les COP servent encore à quelque chose ?
R. V. Ce que le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) dit, c'est que la décarbonation à l'échelle globale ne pourra pas se faire sans collaboration entre les pays, entre les parties. Ces réunions donnent un cadre indispensable. C'est tout le sens de la Convention des Nations unies sur le changement climatique.
Après, il est vrai que les choses avancent trop lentement, mais elles avancent quand même un peu. D’ailleurs nous nous y rendront, pas tous physiquement, pour organiser deux événements. Le premier se déroulera le 1ᵉʳ décembre et portera sur la distance (temporelle) qui nous sépare des 1,5 °C, à ne pas dépasser. Le second événement se déroulera le 2 décembre et portera sur les défis des sciences physiques du climat.
Ce sera l’occasion pour la communauté des physiciens et des physiciennes du climat de discuter des constats et de nous donner une vision d’ensemble, à mon collègue coprésident Xiaoye Zhang2 et moi-même, pour préparer au mieux le travail du groupe I du Giec que nous présidons.
Le monde est sans doute en train de vivre son année la plus chaude depuis le début de l’ère industrielle : sécheresses, inondations et autres extrêmes climatiques s’enchaînent et génèrent toujours plus de dégâts. Peut-on parler d’accélération ?
R. V. Nous avons toujours eu des événements climatiques extrêmes, ils ne sont pas nouveaux. Aujourd'hui, ils ont des amplitudes et des échelles spatiales et de durées qui sont en augmentation forte. Je ne parle volontairement pas d'accélération parce que pour le moment, il n'y a pas de signe d'accélération du réchauffement climatique. Les températures poursuivent leur progression au rythme des émissions de gaz à effet de serre. On a effectivement une accumulation de certains extrêmes, comme des vagues de chaleur, des extrêmes chauds et en même temps une diminution des extrêmes froids, ou encore une augmentation des précipitations extrêmes qui est présente dans beaucoup de régions.
La question des sécheresses est un peu plus complexe, mais elle est bien présente. Donc dans plusieurs régions, même s’il existe de nombreuses incertitudes, il y a une augmentation de la sévérité des sécheresses et particulièrement des sécheresses du sol. S’agissant de la question des changements de régimes de précipitation, je dirais qu’elle est plus compliquée.
Par exemple, lorsque nous nous intéressons aux inondations, on remarque que jusqu'à il y a quelques années, elles étaient plutôt liées aux débordements de rivières. Aujourd’hui ces inondations sont de plus en plus associées à des inondations de ruissellement. Localement de violentes pluies se déversent, dans un laps de temps très court, ce qui ne permet pas aux réseaux d'évacuation de faire face à tout cet afflux d’eau ; et par conséquent elles conduisent à des inondations et ce même à des endroits où il n’y a pas de risque identifié. Et cela ne se passe pas au voisinage d’une rivière, ça se passe dans les villes ! C’est un nouveau type d’événements extrêmes.
Récemment, nous avons aussi réalisé une étude sur l’augmentation absolument incroyable des vagues de chaleur et de leur intensité en Europe. Et il se trouve que l'Europe est la région du monde où les vagues de chaleur ainsi que les pointes de chaleur sont en plus forte croissance, hors régions polaires. C'est en Europe de l'Ouest et particulièrement en France qu’elles ont cours. Et pour le moment, nous ne savons pas exactement pourquoi, même si nous avons appris récemment que cela est lié à une plus grande fréquence des vents apportant de l’air tropical.
Quels sont les événements extrêmes qui résistent encore à la modélisation ou à la prévision ?
R. V. Alors tout dépend de ce qu'on entend par « prévoir » des cas et des phénomènes que l’on souhaite étudier. Les pluies extrêmes à l'échelle de quelques heures, comme les douches orageuses, ne peuvent pas être appréhendées par les modèles actuels de simulation du climat global. Il faudrait pour cela que nous soyons capables de simuler ces événements à très haute résolution, à l’échelle des grands nuages. La grêle fait aussi partie des événements durs à prévoir du simple fait qu’il existe actuellement assez peu de littérature à ce sujet. Pourtant, elle représente un danger substantiel pour l’agriculture. Il existe tout de même des données, mais cela ne fait que 20 ou 30 ans que la communauté scientifique s’est penchée sur ce cas. Il en va de même pour les tornades. Tous ces phénomènes sont difficiles à caractériser avec des mesures quantitatives physiques et les données actuelles ne suffisent pas pour établir des tendances réelles.
Mais aujourd'hui se pose aussi la question de risque de phénomènes de plus grande échelle. On le voit bien avec les fortes températures de cet automne qui sont globales, qui résultent probablement de la combinaison non seulement du changement climatique, mais aussi du phénomène El Niño, et peut-être d'autres facteurs un peu moins forts. La faible étendue, cette année, de la banquise antarctique peut aussi être considérée comme un extrême. Comment expliquer cela ? Comment les modèles simulent-ils ce type de phénomènes ? Nous avons des questions extrêmement importantes et scientifiquement intéressantes à aborder.
Vous n’êtes pas sans savoir qu’une part grandissante de scientifiques, dans le monde comme en France, face à l’urgence climatique, sortent de plus en plus de leur « neutralité ». Selon vous, cette urgence, n'implique-t-elle pas un changement du rôle des scientifiques dans la société ?
R. V. Je crois que les réponses peuvent être très variables selon les motivations de chacun. Il n’y a pas de règle générale. Je ne pense pas que notre rôle principal, qui est d'apporter de l'information, change. C'est vrai qu'il y a beaucoup de collègues qui se questionnent quant à épouser une forme de militantisme. Le rapport du Comets (Comité d’éthique du CNRS) résume très bien le positionnement de la communauté scientifique en général : les scientifiques restent des citoyens et des citoyennes comme tout le monde. Et à ce titre, ils ou elles ont le droit de s'exprimer aussi bien sur leurs opinions politiques, militantes, écologistes ou non. C'est un droit fondamental qui s'accompagne aussi d'une responsabilité sur les informations qui sont fournies lors de ces communications qui dépassent le cadre purement scientifique. En ce qui me concerne, j’estime qu’il est extrêmement important que nous ayons une bienveillance entre scientifiques, quelles que soient les formes d'expression qu'on a vis-à-vis du public, et qu’on respecte les paroles lorsqu'elles sont conformes à cette règle éthique, et c'est le cas.
Certes la COP28 se profile, mais pour vous et vos collègues un long cycle vient de s’amorcer, c’est le 7e cycle du Giec. En quoi va-t-il consister ?
R. V. Je ne peux répondre malheureusement que partiellement à cette question car le travail complet du Giec d'ici à 2029-2030 ne sera connu qu’après la réunion plénière du mois de janvier 2024.
Pour le moment, ce qui a été décidé, c'est d'avoir un rapport sur les villes et le changement climatique. Ce rapport est attendu, fin 2026-début 2027. Nous aurons aussi trois rapports des groupes I, II et III3 ainsi que plusieurs rapports spéciaux. Et probablement un rapport de synthèse au cours de ce cycle mais au-delà nous n’avons pas de visibilité.
Ce rapport sur les villes fait-il partie des rapports spéciaux du Giec ?
R. V. Tout à fait. C'est un rapport spécial qui a été commandé au cours du cycle précédent. Il va être extrêmement important parce que finalement, c'est aussi à l'échelle des villes, et à l'échelle des structures qui ne sont pas nécessairement nationales ou internationales, que la transition va se jouer et que le besoin d'information est important. Et puis les villes aujourd'hui sont habitées par plus de la moitié de la population mondiale. Cela concerne énormément de monde et certaines ont des populations extrêmement vulnérables à toutes sortes de crises.
Est-ce que se concentrer sur les villes est une manière de plus se rapprocher de l'échelle humaine ?
R. V. Absolument. L'objectif c’est vraiment d'avoir des informations plus faciles à mettre en œuvre directement. Les villes sont potentiellement un concentré de problèmes liés au changement climatique, mais aussi un concentré de solutions. Les villes sont soumises à des aléas climatiques qui peuvent être en augmentation, comme des vagues de chaleur, des inondations. Et donc la question des événements extrêmes notamment, va être importante. Les collectivités locales joueront un rôle déterminant. Peut-être plus encore en ce qui concerne l'adaptation, pour pouvoir prémunir les populations des catastrophes climatiques.
Nous allons non seulement nous adresser aux décideurs locaux mais nous allons également les inclure dans notre méthodologie et ce dès le cadrage du rapport, c’est-à-dire entre maintenant et l’été prochain. Ainsi, dans le groupe d'experts qui va proposer le sommaire du rapport sur les villes, il y aura des scientifiques académiques, c'est-à-dire des universités et des organisations de recherche comme le CNRS, et des personnes concernées par la gestion des villes et les questions environnementales au sein des villes. Ces derniers auront un background d’expert, pas forcément académique mais plutôt pratique. C'est extrêmement important et c'est nouveau.
Quels pourraient être les prochains thèmes des rapports à venir ?
R. V. Il y a des choses qu'on voit beaucoup apparaître dans les discussions. Les thèmes dont nous parlons le plus tournent autour des extrêmes climatiques, des points de bascule qui sont les seuils au-delà desquels les systèmes s'organisent différemment, ou encore sur l’adaptation qui, peut-être, n’a pas une approche suffisamment encadrée au niveau international. La question des dommages et des préjudices est également souvent évoquée. Sans oublier les thèmes autour de la géo-ingénierie et la capture du carbone. On ne sait pas encore sous quelle forme ces sujets seront abordés. Ce pourrait être sous forme de rapports spéciaux ou dans le rapport d'évaluation générale. C'est encore en discussion.
Il reste un dernier thème qui est celui du cycle du carbone et des incertitudes que nous avons sur le devenir des puits de carbone. Est-ce qu’ils vont rester aussi efficaces ? Ou, à cause des feux, à cause du mauvais fonctionnement des forêts ou de leur dépérissement, de la dégradation des terres, nous allons garder une surface continentale, et même océanique, qui va être capable d'absorber autant de CO2 qu'avant ? Cela a énormément de conséquences sur les politiques publiques car ce qu'on appelle le « net zéro » – le moment d’équilibre entre les sources et les puits – dépend totalement de ces connaissances.
Ainsi, si l’ensemble des pays décident d’un « net zéro » à l’horizon 2050, il est essentiel de connaître la capacité réelle qu’ont les puits de carbones identifiés aujourd’hui à jouer correctement leur rôle demain. Dans le cas contraire, si nous évaluons mal la capacité d’un puits de carbone, cela pourrait retarder notre arrivée au « net zéro ».
La question des extrêmes semble revenir assez souvent…
R. V. Cela tient surtout au fait qu’aujourd’hui la vision qu’on en a a évolué. Avant, cette vision était beaucoup plus théorique puisque nous n’avions pas accumulé assez de connaissances à leur sujet. Depuis une dizaine d'années – voire une vingtaine d'années – on voit se dérouler en grandeur nature les conséquences du changement climatique alors même qu’on ne se trouve qu’à 1,15 °C ou 1,2 °C d’augmentation de la température moyenne mondiale depuis le début de l’ère industrielle. Aujourd'hui, nous ne sommes pas du tout à l'échelle de ce qui pourrait arriver dans quelques décennies, mais on en a un petit un avant-goût. ♦
Pour aller plus loin
Retrouvez tous nos contenus consacrés au climat et à son évolution dans notre dossier :
Climat : le défi du siècle
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Un monde de villes
- 1. Météorologue et climatologue, directeur de recherche au CNRS à l’Institut Pierre Simon Laplace (Unité CNRS/CEA/École des ponts ParisTech, École polytechnique, IRD/Sorbonne Université/Université Paris-Saclay/Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines).
- 2. Météorologue et professeur de chimie et de physique de l’atmosphère à l’Académie chinoise d’ingénierie.
- 3. Le groupe II du Giec évalue la vulnérabilité des systèmes socio-économiques et naturels au changement climatique, les conséquences négatives et positives du changement climatique et les possibilités d'adaptation à ce dernier. Le groupe III quant à lui se concentre sur l'atténuation du changement climatique, l'évaluation des méthodes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et l'élimination des gaz à effet de serre de l'atmosphère.
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"La menace du réchauffement
Gulshan oad le 7 Mars 2024 à 12h37Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS