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Climat : l’implacable état des lieux du Giec
Ce rapport de synthèse reprend les conclusions des trois grands volets du 6e rapport du Giec, publiés en 2021 et 2022, ainsi que de quatre rapports spéciaux précédents. Cela fait beaucoup d’informations à condenser en quelques pages ?
Gerhard Krinner1. En effet, nous avons condensé en trente pages des rapports qui font dans les 2 000 pages chacun. J’ai fait un petit calcul : dans l’ensemble du 6e rapport d’évaluation du Giec, nous avons cité plus de 70 000 articles scientifiques. Si, en moyenne, un article fait quinze pages, cela fait un million de pages de littérature scientifique condensées en trente. C’est du lourd, du très concentré, comme la pilule de l’astronaute (rires).
Quelle est l’importance de ce rapport de synthèse, au vu de ce qui a déjà été publié au cours de ce sixième cycle de travaux du Giec ?
G. K. C’est le couronnement du sixième rapport d’évaluation du Giec. Le rapport de synthèse est le produit final, celui qui sera à la base des négociations des futures COP. Avec ce document, aucun État ne peut venir à la table des négociations et dire « finalement, on ne croit pas que l’Homme soit responsable du changement climatique ». En effet, tous les États reconnaissent et approuvent chaque phrase de ce rapport de synthèse.
Parlez-nous du processus de rédaction de cette synthèse. Est-ce que, à ce niveau-là, il y a encore des débats entre scientifiques ?
G. K. Pour rédiger cette synthèse, nous étions initialement trente personnes, plus le président et les vice-présidents du Giec et les co-présidents des groupes de travail I, II et III (dont Valérie Masson-Delmotte). J’ai coordonné la deuxième section, qui porte sur le climat à long terme, avec une chercheuse américaine, Kate Calvin, qui est la directrice scientifique de la Nasa.
Quant aux débats scientifiques, il y en a tout le temps. La science n’est jamais finalisée. Il y a toujours plus à savoir et des discussions sur des questions détaillées ont toujours lieu. Par contre, sur les questions fondamentales, il n’y a plus de doute raisonnable possible. En particulier sur l’attribution du changement climatique. Le premier rapport du Giec, en 1990, disait que l’ « on observe des changements compatibles avec l’action de l’Homme, mais compatibles aussi avec la variabilité naturelle du climat. »
Depuis se sont ajoutées trois décennies de changement climatique. On a constaté une augmentation linéaire de la température moyenne globale de presque 0,2 °C par décennie depuis 1970. Aujourd’hui la phrase équivalente d’attribution dans le rapport du Giec ne laisse plus de place au doute : les activités humaines ont causé un réchauffement égal à celui qui est observé. Autrement dit, tout le réchauffement climatique observé est attribué à l’activité de l’Homme.
Ce rapport de synthèse a été approuvé par l’ensemble des États qui siègent à l’ONU. Comment se déroule cette procédure ?
G. K. Une fois que nous, les scientifiques, avons atteint un consensus, nous rédigeons une synthèse à l’intention des décideurs. Cette synthèse, c’est ce que nous voulons leur dire. Ensuite, les 195 pays discutent et doivent approuver cette synthèse phrase par phrase. Certains pays veulent enlever une phrase, ou au contraire, renforcer un constat. Notre rôle, en tant que chercheurs, est d’assurer que le rapport final reste scientifiquement correct. Ce sont des négociations parfois un peu pénibles, mais tout ce qui figure dans le rapport final a l’assentiment des chercheurs. Les scientifiques ont un droit de véto absolu pour éviter qu’il y ait des phrases fausses dedans.
Les pays doivent-ils approuver le rapport à l’unanimité ?
G. K. Oui, mais si un État ne veut pas d’une phrase alors que les 194 autres veulent qu’elle figure dans le rapport, il est possible de l’approuver avec la mention que cet État n’a pas approuvé la phrase. À ma connaissance, cela n’est jamais arrivé car c’est très désagréable pour un État de se voir exposé comme ça.
Parlons du contenu de cette synthèse. Quelles en sont les principales conclusions ?
G. K. La première section du rapport de synthèse porte sur le climat qu’on observe aujourd’hui et sur comment on en est arrivé là. Les messages clés sont : on observe un changement climatique dans toutes les régions du monde. Il est sans précédent. Il est extrêmement rapide par rapport aux changements naturels. Il est dû à l’Homme, point final.
Des actions pour enrayer le changement climatique ont commencé au niveau mondial, et l’augmentation des émissions commence à ralentir. On commence à voir des résultats. Par exemple, le prix des énergies renouvelables est en train de baisser et dans certains cas, il est déjà en dessous de la référence fossile. Ce sont des signes encourageants, mais c’est loin d’être suffisant. En effet, les impacts du changement climatique atteignent dans certains cas les limites dures de l’adaptation. Par exemple pour certains écosystèmes comme les récifs coralliens tropicaux, l’adaptation n’est plus possible parce que le changement va trop vite ou trop loin.
Autre message essentiel, ce sont les pays les plus riches qui sont le plus responsables du changement climatique. Et à l’intérieur de chaque pays, ce sont les populations les plus riches qui émettent le plus. Quand on regarde la quantité totale de CO2 émise entre 1900 et aujourd’hui, les anciens pays industriels portent bien entendu une grande responsabilité.
Qu’en est-il des conclusions de la deuxième section, celle que vous avez coordonnée.
G. K. Ce deuxième volet porte sur l’évolution du climat au long terme, au-delà de 2040. En prenant en compte les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre implémentées aujourd’hui, nous allons vers un réchauffement global compris entre 2,2 et 3,5 degrés en 2100, avec une stabilisation des émissions à peu près au niveau actuel.
C’est moins catastrophique que ce qu’on aurait pu croire il y a trente ans. Toutefois, il n’est pas exclu que les émissions continuent à augmenter. Ce qu’on sait avec plus de certitude, c’est qu’au moment où l’on arrivera à zéro émission nette de CO2, le climat va se stabiliser rapidement. Zéro émission nette de CO2 égale stabilisation du climat. C’est là un message très clair et très important de cette synthèse.
Quid de la troisième section du rapport de synthèse ?
G. K. C’est celle qui dit ce qu’on peut faire. Elle porte moins sur le climat en tant que tel, et plus sur les actions. Dans le moyen terme, les vingt prochaines années, le climat va continuer à se réchauffer et il est très probable que l’on dépasse les 1,5 degré au cours des années 2030. Mais ce n’est pas une raison pour baisser les bras. En effet, deux degrés de réchauffement c’est mieux que 2,5 degrés, et 2,5 c’est mieux que 3. Chaque incrément de réchauffement augmentera les impacts, dont certains seront irréversibles.
Parmi les actions, il y a le développement des sources d’énergie renouvelable, bien sûr, mais il faut aussi agir sur la demande. Il ne faut pas seulement encourager la sobriété. Il faut aussi la rendre possible. D’autant plus que certaines actions pour ralentir les émissions ont des co-bénéfices dans d’autres domaines comme la qualité de l’air et l’alimentation. Autre conclusion : toute mesure d’atténuation doit prendre en compte la justice climatique. D'autant plus qu'il n'est pas efficace de faire porter le chapeau aux populations les plus pauvres.
Certains voient dans la géo-ingénierie une solution face au changement climatique. Est-ce que vous l’avez prise en considération ?
G. K. La géo-ingénierie est mentionnée brièvement dans le rapport de synthèse, mais pas dans le résumé à l’intention des décideurs. C’est un débat compliqué parce que la géo-ingénierie implique des risques très grands et qu’elle ne permet pas de revenir au climat d’avant. En effet, il y a des régions où elle pourrait surcompenser le changement climatique, et d’autres où elle pourrait ne pas très bien marcher. Des impacts indésirables sont très probables, comme des changements dans les précipitations. Ensuite, il y a des questions de gouvernance internationale qui ne sont pas résolues. On explique aussi qu’on n’en sait pas assez : il faut plus de recherches là-dessus. Dans l’état actuel, on ne peut clairement pas recommander la géo-ingénierie comme mesure contre le changement climatique.
La fin de ce sixième cycle du Giec annonce le début d’un septième... Comment imaginez-vous le prochain rapport ? Quelles sont les questions qu’il devra aborder avec plus de détails ?
G. K. Je pense qu’il va y avoir des recherches sur la géo-ingénierie et que dans le septième rapport on pourra mieux en parler. On en saura plus sur les mesures d’adaptation, en particulier sur celles qui sont le plus efficaces sur le long terme. On pourra peut-être en dire plus sur les mesures de capture et de stockage du carbone. Nous aurons de meilleures informations sur le changement climatique à l’échelle régionale, qui est toujours difficile à modéliser, et nous aurons peut-être les moyens de faire des prévisions climatiques à l’échelle décennale. Il y a beaucoup de domaines où la science a des progrès à faire.
En tant que chercheur du Giec, est-ce que vous n’avez pas l’impression parfois de jouer les Cassandres ? Vous faites des prédictions très précises sur le climat à venir, et pourtant les choses ne bougent pas très vite.
G. K. Évidemment c’est frustrant de devoir faire face à des discours de délai ou à des discours de déni du changement climatique. L’offensive climatosceptique sur Twitter, c’est ultra pénible. Mais on commence tout de même à voir une réduction de l’augmentation des émissions de carbone. C’est loin d’être suffisant, mais où en serait-on si le Giec n’avait pas réalisé ce travail ? Ce serait sans doute bien pire. C’est là l’importance des travaux du Giec, et surtout de toute la communauté des chercheurs qui travaillent dans le domaine, vis-à-vis des générations futures. ♦
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- 1. Directeur de recherche CNRS à l’Institut des géosciences de l'environnement (unité CNRS/IRD/Inrae/Université Grenoble Alpes)