Donner du sens à la science

Retrouver les couleurs du siècle des Lumières

Dossier
Paru le 06.09.2024
Le tour du patrimoine en 80 recherches
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De l’indigo. De la gaude. De la cochenille, ou du kermess. 

Ces substances naturelles - végétales ou animales - ont été fixés sur ces fils de laine et de soie il y a des centaines d’années pour leur donner une couleur. Tous ces fils, ont été tissés pendant des milliers d’heures de travail minutieux en une tapisserie monumentale de sept mètres de long. Elle est conservée à la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson. 

 

ITV Pascal Bertrand, historien de l’art

Une tapisserie, elle souffre, d’un inconvénient majeur, comme la plupart des œuvres d’art, c’est son exposition à la lumière, puisque la lumière détériore les couleurs.

Et, pour s’en rendre compte, il suffit bien souvent de regarder le revers d’une tapisserie et là on voit que les couleurs sont beaucoup plus vives, beaucoup plus châtoyantes… 

Cette dégradation, elle peut aussi provenir de la qualité moins bonne des teintures utilisées lors de la fabrication.  

 

Au 18ème siècle, cette pièce décorait les murs d’un château en Pologne.

Aujourd’hui, ces millions de fils teintés vont raconter, à une équipe de scientifiques, l’histoire, oubliée,  de leur fabrication... 

 

Séquence manip’ “clipé”

 

Là, principalement, on essaie d’identifier les colorants qui ont été employés et les mordants et donc essayer de retrouver les matériaux employés, les techniques utilisés au 18e siècle par les teinturiers. 

 

Moi je suis Aurélie Mounier, je suis ingénieure de recherche au CNRS. 

Je travaille principalement sur l’analyse des pigments anciens, des colorants, matières colorantes et je développe des méthodes portables, non-invasives depuis quelques temps maintenant. Pour pouvoir étudier des œuvres in situ et éviter de prélever un morceau d’échantillon sur l’œuvre.

 

Quelles étaient les recettes utilisées par les teinturiers du 18ème siècle ?

Les scientifiques cherchent la nature des colorants employés, mais également la nature des mordants. Ce sont les composés - comme l’étain ou l’alun - qui permettent de fixer le colorant sur la fibre.

 

Pour tenter de remonter le fil de l’histoire de cette tapisserie, Aurélie Mounier et son équipe vont utiliser la lumière pour analyser l’œuvre.

 

Disons que nous on s’est équipé avec des appareils portables, des caméras hyperspectrales et donc ça a été développé par la Nasa, ça existe depuis les années 90 - et c’est appliqué dans le domaine de de l’art depuis les années 2000 environ. Et là, tout récemment, il y a des caméras vraiment portables fabriquées par des sociétés, ce qui nous a permis d’aller vers les œuvres. Parce qu’avant, c’était des systèmes très lourds qui ne pouvaient rester qu’en laboratoire. Donc là on les a rendu transportables ce qui nous permet d’aller étudier les œuvres dans les musées. 

 

Chaque passage de la caméra hyperspectrale produit non pas une image, mais une série de spectres pour chaque pixel. Un spectre c’est la courbe qui décrit la réflectance du matériau en fonction de la longueur d’onde. Une zone rouge va beaucoup refléter dans les longueurs d’onde correspondant au rouge par exemple et peu refléter dans le bleu.

 

Et certains matériaux produisent des spectres très reconnaissables.

Les scientifiques cherchent ainsi, au sein de ces courbes, les signatures des composés chimiques utilisés dans l’élaboration de la recette… 

 

On va pouvoir analyser les spectres et tenter d’identifier les colorants employés en comparant les spectres obtenus sur l’œuvre avec les spectres de notre base de données. 

 

Cette base de données de référence est composé des spectres obtenues sur des petits carrés de tissus, teintés selon des centaines de recettes de teintures différentes et potentiellement utilisées à l’époque...

 

Aujourd’hui, elle travaille entre autres sur l’indigo - un colorant bleu très utilisé à l’époque. 

Si certains échantillons sont relativement faciles à réaliser, d’autres le sont moins - surtout lorsque les ingrédients sont introuvables aujourd’hui...

 

Donc par exemple pour le projet ici, il y avait beaucoup de teintures qui étaient faites à base de serratule des teinturiers et, j’ai dû cultiver moi même les plants de serratule pour teindre avec...

 

Mais plus que les ingrédients, parfois, ce qui manque, c’est la recette même utilisée par les teinturiers de l’époque.

 

A l’époque, souvent les teinturiers n’étaient pas capables d’écrire, de compiler leurs recettes, donc c’était des personnes plus intellectuelles qui venaient observer et écrire sur les protocoles de teinture. Donc il y a parfois des oublis, des choses que les teinturiers font sans que ce soit notifié ou remarqué par ceux qui écrivent les protocoles, donc il y a des pertes dans les recettes et parfois il faut donc se… grâce à l’expérience, se rendre compte que bah non, ce protocole là n’est pas parfaitement justement réécrit et donc c’est grace à l’expérience qu’on peut se rendre compte qu’il y a des manquements, des erreurs et il s’agit aussi de corriger ces choses là pour être le plus juste possible dans les résultats.

 

Tous les précieux échantillons produits dans cet atelier sont ensuite envoyés, par la poste, à l’Institut de Recherche sur les Archéomatériaux de Bordeaux.

C’est ici que les bandelettes colorées sont analysés. Que les spectres sont réalisés et que la base de données est enrichie. 

 

Je m’appelle Hortense de la Caudre, je suis doctorante en physique des archéomatériaux et je travaille sur l’analyse des tapisseries d’Aubusson.

 

Chaque échantillon est analysé avec les mêmes instruments que ceux utilisés sur les tapisseries d’Aubusson. Et dans les centaines de spectres réalisés sur ces bouts de tissus - les chercheuses espèrent retrouver les mêmes signatures spectrales que celles obtenues sur les tapisseries du 18ème siècle. Et ce, pour toutes les couleurs étudiées.

 

En déclinant les différentes proportions dans les recettes, ça va nous permettre de voir les influences d’un mordant ou du pourcentage de colorant sur les spectres mais aussi sur les couleurs, sur la tenue des couleurs, sur la vitesse de dégradation, ce genre de choses... 

 

L’équipe étudie, en parallèle, les effets du vieillissement sur les fibres naturelles de laine ou de soie et sur les pigments utilisés dans les teintures. 

 

Ces travaux, au croisement de la chimie, de la physique, de l’histoire... 

éclaireront nos connaissances sur les teintures du 18ème siècle, ils déboucheront également sur une restitution numérique des couleurs originales des tapisseries étudiées.

De quoi permettre aux visiteurs du musée de remonter le temps - et aussi de guider la restauration de ces tapisseries anciennes afin qu’elles puissent continuer de traverser les siècles…

 

Retrouver les couleurs du siècle des Lumières

25.11.2020

A la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson, des scientifiques étudient des œuvres composées de fils de soie et de laine, colorés par des substances naturelles il y a plusieurs centaines d'années. Grâce à des méthodes qui leur permettent de remonter le temps, ils tentent de déterminer les recettes utilisées par les teinturiers de l'époque.

 

À propos de cette vidéo
Titre original :
Les couleurs perdues d'Aubusson
Année de production :
2020
Durée :
7min37
Réalisateur :
Nicolas Baker
Producteur :
CNRS Images
Intervenant(s) :
Aurélie Mounier (CNRS) 
Hortense de la Codre
Institut de Recherche sur les Archéomatériaux (IRAMAT), 
Centre de Recherche en Physique Appliquée à l'Archéologie (CRP2A)
CNRS/Université Bordeaux Montaigne

Pascal Bertrand
Centre François-George Pariset 
Université Bordeaux Montaigne

Charlotte Marembert
Designer textile, maître teinturier, atelier Myrobolan
Bruxelles
Journaliste(s) :