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Les archéologues français de retour en Mésopotamie
Cet article est publié en partenariat avec le Cahier des Umifre, le magazine des unités mixtes/ Instituts français de recherche à l'étranger.
Nombre de sites archéologiques irakiens ont été soumis à rude épreuve ces dernières années. Dès 2003, les riches vestiges qu'abrite ce pays du Proche-Orient ont souffert des combats et des bombardements qui ont émaillé la guerre qui a suivi l'intervention américaine. Entre 2011 et 2017, la destruction et le pillage systématiques de certains sites par l'État islamique n'ont fait qu'amplifier la dégradation de ce patrimoine inestimable. Alors que la situation politique semble aujourd'hui plus apaisée, la France entend affermir ses liens avec le gouvernement irakien à travers la recherche archéologique.
En mai dernier, la validation du projet Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) « Revitaliser la valorisation du patrimoine archéologique de l’Irak1», est venue sceller ce partenariat. « Dans le contexte post-conflit actuel, où l'Irak doit faire face à la reconstruction et la gestion d'un patrimoine en grande partie dégradé, il s'agit de fournir les compétences et technologies dont le pays a besoin pour relever ces défis », souligne Laurence Auer, directrice de la culture, de l'enseignement, de la recherche et du réseau au sein du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.
En s'appuyant sur le savoir-faire des sociétés Archaïos et Iconem, le projet vise en premier lieu à établir une carte archéologique informatisée couvrant l'ensemble du territoire irakien. Accessible et actualisable à Bagdad et par toutes les directions des Antiquités, cet outil numérique pourra également être mis à jour par chacun des dix-neuf gouvernorats irakiens, les institutions régionales en charge du développement territorial.
Renforcer les liens avec l'Irak
Le FSPI offre aussi l'opportunité de renforcer les liens entre l'Irak et la France autour de sites historiquement explorés par les archéologues français dès la seconde moitié du XIXe siècle. Progressivement abandonnés à partir des années 1990, pour des raisons de sécurité, certains d'entre eux font à nouveau l'objet de campagnes de fouilles. « À travers ce projet d'une durée de deux ans, douze sites localisés pour la plupart au Kurdistan irakien, dans le nord du pays, vont pouvoir être étudiés de manière plus approfondie grâce à l'utilisation de techniques d'analyse et de modélisation innovantes », explique Dominique Pieri, directeur scientifique du département Archéologie et histoire de l’Antiquité de l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) et coordinateur du FSPI.
Parmi les sites du Kurdistan qui seront explorés, figure Dur-Sharrukin, l'une des grandes citées de l'antique Assyrie localisée à proximité de l'actuel village de Khorsabad. Dans cette zone occupée par l'État Islamique il y a encore quelques mois, l'organisation d'une campagne de fouilles demeure une entreprise délicate. À Dur-Sharrukin, celle-ci nécessitera un déminage préalable du site. Une fois le secteur sécurisé, la mission archéologique dirigée par Pascal Butterlin, professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, se déroulera sous étroite surveillance des militaires français et irakiens en raison de la proximité de la ligne de front avec les derniers combattants de Daech.
Récupérer un maximum d'informations
« Cette archéologie de crise qui consiste à faire un état des lieux d'un site ayant subi de multiples pillages et saccages au fil du temps, est une démarche inédite pour les archéologues que nous sommes, constate Dominique Pieri. Elle n'en demeure pas moins essentielle car c'est en identifiant avec précision la nature et l'ampleur des dégâts que nous parviendrons ensuite à récupérer un maximum d’informations archéologiques. » Au sud du pays, Larsa forme le second site patrimonial de renommée internationale exploité dans le cadre du FSPI par des équipes françaises dirigées par Régis Vallet, chargé de recherche au CNRS en mobilité à l’IFPO.
Située entre le Tigre et l’Euphrate, cette ancienne capitale de Mésopotamie aurait été fondée il y a plus de 5 000 ans. En mai dernier, une première analyse par photogrammétrie de ces vestiges plurimillénaires a pu être réalisée par la société Iconem. « En combinant à l'aide d'un logiciel des prises de vues pédestres effectuées sous différents angles à des photographies aériennes réalisées à partir d'un drone, cette méthode nous a permis d'établir une représentation en trois dimensions du site à un instant précis », explique Bastien Varoutsikos, archéologue de formation et directeur du développement chez Iconem. Cette sorte de copie conforme du site de Larsa peut notamment être comparée à des images satellites de la zone de fouilles plus anciennes afin de mesurer l'impact de pillages successifs. Au cours des deux prochaines années, Iconem compte produire les relevés numériques de sept autres sites irakiens.
Former la jeune génération
Dans les mois à venir, cet outil de cartographie et d'analyse sera mis à disposition des autorités irakiennes pour les aider à améliorer la gestion d'autres sites archéologiques fragilisés par les années de guerre. « Parce qu’elle permet d'obtenir une vue d'ensemble d'un site d’intérêt tout en se focalisant sur certaines parties emblématiques, la photogrammétrie pourrait être utilisée comme support de sensibilisation du public irakien à la richesse et la fragilité de son patrimoine », complète Bastien Varoutsikos.
La formation tient enfin une place très importante dans le projet FSPI. Les professionnels locaux de la conservation du patrimoine seront ainsi initiés à l'utilisation des technologies numériques développées par les sociétés Iconem et Archaïos, comme la restitution 3D de sites archéologiques. D'ici 2020, un master en patrimoine centré sur les méthodes de restauration sera par ailleurs mis en place au sein des universités de Bagdad, Mossoul et Erbil avec l'appui du musée du Louvre et de l'Université libanaise de Beyrouth : « Dans un pays où plus de la moitié de la population a moins de 19 ans, il est primordial de mettre l'accent sur la formation de cette jeune génération pour qu'elle participe activement à la reconstruction du territoire par la conservation et la mise en valeur de son patrimoine », conclut Laurence Auer. ♦
- 1. Ce projet FSPI, financé par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, implique l’Institut français du Proche-Orient, l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le CNRS ainsi que les sociétés françaises Iconem et Archaïos, spécialisées dans la cartographie et la modélisation 3D de sites patrimoniaux.
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Auteur
Grégory Fléchet est né à Saint-Étienne en 1979. Après des études de biologie suivies d’un master de journalisme scientifique, il s’intéresse plus particulièrement aux questions d’écologie, d’environnement et de santé.