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Le tourisme en mode numérique
Et si des applications mobiles et la réalité virtuelle permettaient de rendre visible, à leur manière, ce qui demeure caché de nos itinéraires touristiques ? C’est en tout cas le but de plusieurs projets que pourront découvrir les visiteurs des Innovatives SHS, salon de la valorisation en sciences humaines et sociales.
Graffitis 2.0
Vous voici tout d’abord à explorer virtuellement d’étonnantes galeries qui se perdent sous le palais de justice de Cambrai. C’est peut-être leur surnom de « Lascaux des graffitis » qui vous a incité à vous y aventurer. Le faisceau de votre lampe révèle sur les larges pierres blanches de cet ancien château, là une petite vierge à l’enfant, là un long poème ou encore un magnifique saint Georges qui s’apprête à terrasser le dragon. Autant de traces laissées par les mains de milliers de détenus anonymes qui peuplèrent, du Moyen Âge jusqu’à la Première Guerre mondiale, cette ancienne prison. Et autant de traces virtuelles : « Ce qui est formidable c’est que quand j’enlève le casque, j’ai le même souvenir des lieux que lorsque j’y suis allé », se réjouit Laura Louvrier, chercheuse associée à l’Institut de recherches historiques du septentrion1 et responsable de ce projet de visite virtuelle du château de Selles.
Un trésor insolite hélas menacé aujourd’hui de disparition : la surface des murs ayant tendance à s’effriter à cause des infiltrations. La décision a donc été prise au début des années 2000 de fermer ce lieu emblématique de la ville de Cambrai et d’organiser dans la foulée une campagne de sauvegarde numérique de la totalité des inscriptions. Initialement, ces archives numériques n’avaient pas vocation à être partagées avec le grand public.
« En 2014, avec les archéologues et la commune, et avec le soutien de l’entreprise Voxcell, spécialisée dans la 3D, on a souhaité tirer avantage de ces données et des avancées technologiques en matière de réalité virtuelle pour "réouvrir" le lieu aux yeux du public », se rappelle Laura Louvrier, historienne de l’art de formation et qui n’hésite pas pour autant à se définir comme une geek : « Les nouvelles technologies me passionnent. »
Depuis sa création, ce projet s’est renforcé de nombreux partenaires institutionnels et privés. Leur objectif : approfondir nos connaissances sur ce singulier patrimoine et réouvrir la voie vers ses galeries au sein du futur Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine à Cambrai, qui verra le jour en 2018. Et avec, comme unique guide, un casque de réalité virtuelle sur la tête. « C’est une innovation qui a un sens , affirme Laura Louvrier. Elle permet à la fois de conserver notre culture et notre patrimoine tout en les rendant accessibles au public, et même à des personnes handicapées qui n’auraient pas pu se promener dans le souterrain. »
CulturMoov : le patrimoine en version augmentée
Même désir de « réduire les freins inhérents à la place de la culture et du savoir dans nos sociétés », pour la start-up CulturMoov, créée en octobre 2016 par Romain Prévalet. Ce jeune docteur en archéologie et en sciences de l’antiquité, spécialiste des techniques de bijouterie antique, a eu très tôt à cœur de partager sa passion. « Plus de 80 % des collections des musées sont invisibles pour le grand public et les travaux des archéologues sont rarement diffusés au-delà des milieux universitaires. J’ai donc voulu faire sortir ce patrimoine dans la rue et le rendre plus accessible », explique-t-il.
Pour ce faire, Culturmoov propose, sur tablettes ou smartphones, des « mini-visites augmentées » d’objets d’art, à l’image de celles déjà disponibles sur les écrans tactiles des abribus de la ville de Paris. La jeune pousse a en effet remporté, fin 2015, un concours organisé par la ville de Paris et vous invite, le temps d’attendre votre bus, à découvrir douze pièces uniques issues des collections de l’Institut du monde arabe, de la BNF et du Musée de minéralogie de ParisTech.
Bénéficiant de l’incubateur de l’université Paris 13 (Incub’13), CulturMoov espère bien étendre son concept à d’autres domaines culturels. Par exemple, des réflexions sont en cours avec la ville de Saint-Denis pour remettre sur le devant de la scène son patrimoine et son histoire, ou encore une nouvelle application devrait bientôt offrir une promenade au fil des siècles et des beautés cachées d’un ancien quartier de Maisons-Laffitte. « Et chaque visite connectée nous permet de garder par la suite un lien avec le public », se réjouit Romain Prévalet, qui évoque des premiers retours « très positifs » de la part des utilisateurs. Selon cet historien et expert agréé pour le marché de l’art, l’enjeu de ces nouvelles expériences culturelles est justement de ne pas verser dans l’exégèse mais de parvenir à intéresser le plus grand nombre grâce à des expériences multimédias courtes – « comme une vidéo Youtube » – où se mêlent interactivité, sons et images au sein d’une narration dynamique et mâtinée d’humour.
e-Greeters : le cicérone virtuel
Déterminer ce qui « accroche » les visiteurs dans les discours des guides, aussi bien réels que virtuels, c’est précisément ce à quoi travaille Laurent Gautier, professeur de linguistique appliquée à l’université de Bourgogne et responsable des humanités numériques à la Maison des sciences de l’homme de Dijon. C’est en se penchant sur cette question avec son doctorant, Olivier Méric, dans le cadre du projet européen « Tell me a story », qu’ils ont décidé de « mettre un greeter dans votre tablette et votre smartphone ». Le concept des greeters nous vient des États-Unis et connaît un large succès en France depuis une dizaine d’années. Vous avez d’ailleurs peut-être été un greeter sans le savoir si vous avez fait découvrir votre ville ou votre région à des amis ou des touristes de passage. Cette version anglaise du cicérone séduit les touristes « en peuplant sa visite d’anecdotes qui leur permettent de découvrir un lieu au travers d’un regard individuel et d’un récit subjectif de l’histoire d’un territoire », explique Laurent Gautier.
Une balade singulière qu’Olivier Méric et Laurent Gautier espèrent bien populariser à terme via leur application mobile e-greeters, dont un premier prototype sera présenté à Marseille. Un service personnalisé qui ne vise cependant pas à se substituer aux rencontres réelles : « Tout en accompagnement chaque visiteur dans sa déambulation au sein d’un territoire ou d’un site touristique, nous souhaitons le guider vers les acteurs de ces lieux et susciter le désir de les rencontrer », souligne Laurent Gautier. Un tel projet, comme ceux qui précèdent, ne pourrait voir le jour sans un travail important de collecte et d’annotation des contenus (par exemple ici les témoignages audio ou vidéo des greeters). Un véritable travail d’ingénieur de la connaissance qui a conduit le linguiste Laurent Gautier à collaborer avec des laboratoires d’informatique spécialistes de ce domaine ainsi qu’en intelligence artificielle.
Un guide des chemins
Une pluridisciplinarité essentielle à la bonne marche de ces projets qui regroupent souvent plusieurs partenaires aussi bien publics que privés. Ces équipes « multiculturelles », Olivier Rampnoux, enseignant-chercheur à l’Institut d’administration des entreprises de l’université de Poitiers, les connaît bien. « En tant que chercheur, je m’intéresse de près aux processus d’innovation et à la manière dont les différents acteurs de ces projets interagissent », explique-t-il. Cette « sociologie de l’innovation », Olivier Rampnoux la théorise autant qu’il la pratique : ce sera en effet sa troisième participation aux Innovatives SHS en quatre ans. Cette année, il vient y présenter un projet qui pourrait réenchanter l’usage de la navigation auto par GPS et nous permettre de sortir des sentiers battus : « Le guide des chemins ».
« L’idée vient d’un urbaniste de la Charente qui aime découvrir par des routes de traverse sa région et la France. L’application va ainsi permettre à tout un chacun de découvrir des lieux insolites tout en simplifiant la préparation du voyage », précise-t-il. Dans le cadre d’un projet pilote dans la vallée de la Charente, lui et son équipe ont rencontré les différents acteurs touristiques de cette zone afin de mieux définir les points d’intérêt sur le parcours et de pouvoir ainsi rendre plus « intelligente » l’application. Olivier Rampnoux estime que de tels projets sont l’occasion de « participer au développement du tourisme et des entreprises du territoire », tout en offrant « un cadre très stimulant qui oblige à se réinterroger en permanence sur la validité des modèles issus de nos propres recherches. » L’articulation entre sciences humaines et sociales et économie numérique n’est ici pas un simple effet de mode mais le gage d’un enrichissement mutuel.
Pour en savoir plus sur le salon Innovatives SHS, salon de la valorisation en sciences humaines et sociales, qui se tiendra le 17 et 18 mai 2017 à Marseille : http://innovatives.cnrs.fr/
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- 1. Unité CNRS/Univ. Charles-de-Gaulle Lille 3.
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Auteur
Jean-Baptiste Veyrieras est journaliste scientifique.
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