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Gustave Eiffel, le magicien du fer
(Cet article a été publié dans CNRS Le journal, n° 233, juin 2009, pour les 120 ans de la tour Eiffel.)
« Gustave Eiffel représente à merveille l’ingénieur du XIXe siècle, inventif et audacieux, commente Bertrand Lemoine, lui-même ingénieur, architecte, spécialiste de l’histoire de l’architecture au CNRS1. Et, quand il sort de l’École centrale des arts et manufactures en 1855, il a la chance que plusieurs facteurs se conjuguent : l’essor économique de l’Europe en pleine révolution industrielle ; l’avènement d’un nouveau matériau, le fer laminé, plus léger et plus économique que la pierre ; et des progrès décisifs en mécanique. » Dans ce contexte favorable, il devient un constructeur d’envergure mondiale grâce à sa fameuse tour, mais aussi en réalisant près de trois cents ouvrages dans le monde, ponts, viaducs, charpentes, églises, gares, etc. Sans oublier l’apport de ses recherches scientifiques.
Des constructions qui s’assemblent comme des Meccano
Retour sur les débuts de l’ingénieur. Chimiste de formation, il devait reprendre l’exploitation de houille de son oncle. Mais, victime de brouilles familiales, il se tourne vers la construction métallique. Encouragé par ses succès, notamment en dirigeant le chantier du pont de Bordeaux, il crée, à 32 ans, sa propre société, s’entoure de techniciens efficaces, d’ingénieurs inventifs et noue des contacts avec des investisseurs. Or la construction a le vent en poupe. Le réseau ferré s’étend partout en Europe et on attend des gares, des ponts et des bâtiments publics qu’ils poussent comme des champignons.
produites en série
et renvoyées
à l’usine en cas
de problème.
Sur le chantier,
il n’y a plus qu’à
les assembler
avec des rivets.
« Le fer permet justement de construire vite », commente Bertrand Lemoine, commissaire scientifique de l’exposition « L’épopée tour Eiffel » de 2009. « Les pièces sont produites en série dans les ateliers et renvoyées à l’usine en cas de problème. Sur le chantier, il n’y a plus qu’à les assembler avec des rivets ». Comme des Meccano géants. Alors que les chantiers classiques, où l’on « travaille sur le tas », en retaillant les pierres sur place pour les ajuster, s’étirent sur des années. Et puis les lois de déformation des matériaux en fonction des contraintes et de la forme des structures, inventées par Claude-Louis Navier en 1821, sont maintenant appliquées couramment. « La forme des poutres et des édifices est calculée afin d’optimiser leur résistance tout en les allégeant », souligne Bertrand Lemoine. Les constructions sont de plus en plus ajourées. Et l’on peut les bâtir de plus en plus grandes et hautes sans craindre qu’elles ne s’affaissent sous leur poids ou ne cassent sous le vent.
Parmi la nouvelle génération de constructeurs, Eiffel remporte de nombreux contrats grâce à des innovations scientifiques qui réduisent les devis. « Par exemple, pour le viaduc de Porto, construit en 1876 au Portugal, il propose de soutenir avec des câbles les deux arcs qui doivent se rejoindre pour former le pont », explique Bertrand Lemoine. Résultat : pas besoin de construire de coûteux échafaudages dans la rivière !
La tour Eiffel devait être démontée au bout de vingt ans !
Viaduc de Garabit, en France, structure interne de la statue de la Liberté de New York (voir plus bas), Eiffel enchaîne les chantiers. Et va bientôt réaliser l’œuvre de sa vie. « Pour l’exposition universelle de 1889, anniversaire de la Révolution, la France veut faire les choses en grand », raconte Bertrand Lemoine. L’idée d’une tour est dans l’air. On veut dépasser tous les édifices jamais construits, en particulier l’obélisque de Washington, qui culmine à 169 mètres. Deux ingénieurs de l’entreprise Eiffel, Émile Nouguier et Maurice Koechlin, conçoivent une « tour de 300 mètres ».
scientifique de sa
tour en tant que
support d’antenne
de radio ou pour
réaliser différentes
expériences.
Peu intéressé au départ, mais séduit après les embellissements ajoutés par l’architecte Stephen Sauvestre, Eiffel dépose un brevet2. La tour ne remporte que le 3e prix du concours d’architecture de l’Exposition. Mais à coup de publicité dans la presse et de conférences, il apporte plus de crédibilité à son projet et signe une convention avec le gouvernement : financée en partie sur les propres deniers d’Eiffel, la tour sera construite ! « Les travaux, commencés en janvier 1887, s’achèveront en seulement vingt-six mois », raconte Bertrand Lemoine. Avec ses 18 000 pièces assemblées par 2,5 millions de rivets, la tour va émerveiller deux millions de spectateurs durant les six mois de l’exposition ouverte le 15 mai 1889.
Et ensuite ? « Elle devait être démontée au bout de vingt ans, à l’issue de la concession sur le terrain accordée par la ville de Paris. Mais Eiffel la sauva en montrant son intérêt scientifique en tant que support d’antenne de radio ou pour réaliser différentes expériences, notamment en aérodynamique, explique Bertrand Lemoine. D’ailleurs, quand il se retire des affaires à 61 ans, Eiffel décide de poursuivre une carrière de chercheur ». C’est ainsi qu’il mesura par exemple la résistance offerte par l’air à la chute d’objets depuis le deuxième étage de la tour, à 115 mètres d’altitude. Et il remplit si bien cette seconde carrière qu’il la poursuivit jusqu’à... ses 88 ans !
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Afin de suivre le mouvement des étoiles, la coupole de l’observatoire de Nice devait tourner sur elle-même. Eiffel, qui la construisit en 1884, décida de la faire flotter dans un réservoir d’eau afin de supprimer tout frottement. Une simple manivelle suffisait donc à la manœuvrer.
Dans ces croquis de la statue de la Liberté, on découvre l’ossature de fer sous la robe de cuivre : conçue et construite par l'ingénieur, elle n’est autre qu’une sorte de mini-tour Eiffel surplombée par une autre, plus petite, dans le bras.
Au départ, des échafaudages soutenaient les quatre pieds de la tour. À l’intérieur, Eiffel eut l’idée de placer des boîtes remplies de sable, comme on le faisait dans l’Égypte antique. Vider un peu de sable abaissait légèrement tout un pied et permettait de les ajuster tous à la même hauteur. Un petit décalage de quelques millimètres à peine aurait en effet suffit à empêcher les rivets de rentrer dans les trous des plaques à assembler pour construire le premier étage, chargé d'assurer la stabilité de l’ensemble.
La station radio de la tour Eiffel fut inaugurée en 1922 par Sacha Guitry (au micro), Yvonne Printemps et le général Ferrié. Transformée en gigantesque antenne, qui a d’abord servi aux communications militaires, la tour trouve une nouvelle raison de résister à sa destruction programmée…
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Auteur
Journaliste scientifique, autrice jeunesse et directrice de collection (une vingtaine de livres publiés chez Fleurus, Mango et Millepages).
Formation initiale : DEA de mécanique des fluides + diplômes en journalisme à Paris 7 et au CFPJ.
Plus récemment : des masterclass et des stages en écriture...