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Notre-Dame : la recherche s’organise
L’incendie de Notre-Dame a déclenché un foisonnement de projets de recherche émanant des différents laboratoires CNRS. Comment est né le « chantier CNRS Notre-Dame » ?
Philippe Dillmann1 : L’incendie de la cathédrale a suscité une grande émotion dans le pays, mais aussi dans le milieu scientifique. Et rapidement plusieurs sujets de recherche ont émergé des laboratoires CNRS vers les instituts scientifiques. Il y a eu, très vite, un besoin de coordonner l’ensemble de ces initiatives, d’identifier les besoins du chantier de restauration en termes de science et de technologie et de travailler en lien étroit avec les différents instituts, les différentes institutions concernées, dont le ministère de la Culture, mais également l’Association des scientifiques pour la restauration de Notre-Dame.
Martine Regert2 : Juste après l’incendie, de nombreux chercheurs ont, par exemple, manifesté leur intérêt à faire parler le bois de la charpente à l’état carbonisé. Cela revient quasiment à lire dans la cathédrale comme dans un livre ouvert.
Sur quels grands axes de recherches devrait porter le « chantier CNRS Notre-Dame » ?
M.R. : Plusieurs grandes thématiques ont déjà été identifiées : l’étude des matériaux organiques présents dans la cathédrale comme le bois de la charpente, un deuxième axe sur la modélisation, les données numériques et les relevés de terrain, un troisième volet d’étude portera sur les autres types de matériaux comme la pierre, les métaux ou le verre des vitraux. Enfin, des études d’anthropologie apporteront aussi un regard sur le sujet, notamment sur l’émotion collective suscitée par l’incendie. Nécessairement, tous ces projets s’appuieront sur l’étude des archives historiques de la cathédrale, conservées aux Archives nationales. Malgré le drame, l’incendie a ouvert des possibilités de recherches nouvelles. Désormais, les chercheurs vont avoir accès à des matériaux jusqu’alors inaccessibles.
L’idée est aussi de regrouper les chercheurs autour de ces grands projets de recherche transversaux pour qu’il n’y ait pas de doublon. Quels seront vos rôles ?
M.R. : Nous allons déjà commencer par organiser des réunions scientifiques pluridisciplinaires dans les semaines qui viennent, dans le cadre de collaborations entre les différents instituts et le ministère de la Culture. Et bien sûr, notre rôle sera, au travers des groupes de travail, de mettre en contact des chercheurs qui ne se connaissent pas forcément, pour qu’ils puissent travailler ensemble, échanger sur leurs approches. Nous allons également recenser les recherches déjà réalisées sur Notre-Dame de Paris dans nos laboratoires, car nous ne partons assurément pas d’une page blanche. Pour l’instant ce n’est que le début, les choses se mettent en place.
Le toit de la cathédrale s’est effondré il y a plus d’un mois, laissant un gigantesque amas de bois et de matériaux, dont le volume est d’ailleurs toujours en cours d’évaluation. Quelle est l’urgence pour les chercheurs ?
M.R. : Pour l’heure, la cathédrale n’est pas encore accessible aux chercheurs, pour des raisons de sécurité évidente. L’urgence a été de faire en sorte qu’il n’y ait pas de perte d’information scientifique : que les restes de charpente ne soient pas disposés n’importe comment pour que l’on puisse comprendre, par exemple, où ils sont tombés suite à l’incendie. Le stockage du bois doit faire l’objet d’une grande attention, car il doit être conservé dans des conditions particulières, dans un hangar ouvert, ventilé. L’évacuation contrôlée de certains matériaux a déjà commencé, avec l’expertise des scientifiques. C’est la Direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France qui est en charge de ces opérations sur le site.
P.D. : Et actuellement, des unités du ministère de la Culture3 sont déjà sur le terrain et font un travail remarquable. L’objectif du « chantier CNRS Notre-Dame » va être d’arriver en soutien de ces recherches d’urgence, pour continuer une réflexion historique et scientifique sur la cathédrale.
Ces recherches pourront s’appuyer sur les nombreux travaux scientifiques réalisés par le passé sur Notre-Dame…
P.D. : Oui. Depuis des dizaines d’années, des recherches sont réalisées sur la cathédrale Notre-Dame et d’autres monuments gothiques, par des historiens et des historiens de l’art bien sûr, mais aussi par des archéologues du bâti, des géophysiciens ou encore des archéomètres, qui mettent en œuvre des méthodes physico-chimiques pour l’analyse des matériaux. Ils peuvent ainsi dater ces matériaux, en comprendre l’histoire, la provenance… Donc, oui, nous avons déjà des connaissances sur les matériaux de Notre-Dame, qui vont venir épauler la restauration. Mais beaucoup de questions scientifiques se posent encore. Et ce sont aussi à ces questions que devront répondre les projets coordonnés par le « chantier CNRS Notre-Dame », en complément des problématiques liées à la restauration.
Déjà dans les années 1990, une étude CNRS avait montré que la quasi-totalité de la charpente de la cathédrale avait été édifiée au XIIIe siècle. Et que le chêne utilisé n’était pas alors âgé de 300 ans, comme on le pensait, mais plutôt d’une centaine d’années. Quels secrets peut encore livrer la charpente ?
M.R. : L’étude du bois de cette charpente quasi-millénaire va par exemple permettre d’appréhender beaucoup plus finement, à l’année près, l’évolution du climat en Ile-de-France. Nous pourrons également savoir d’où proviennent les chênes, comment étaient gérées les forêts à l’époque, quelles méthodes de fabrication étaient utilisées… Et évidemment : comprendre comment ce bois a évolué au fil des siècles, en fonction de son environnement.
P.D. : Nous allons à la fois pouvoir étudier les matériaux intacts après l’incendie, mais aussi certains matériaux détériorés, brûlés. L’étude de la carbonisation de la charpente va apporter des informations importantes, et des équipes savent repérer l’essence d’un bois à partir de charbon, par exemple.
Quand on pense à l’étude de matériaux de Notre-Dame, on pense immanquablement au bois. Mais tous les matériaux anciens, qui ont successivement servi à sa construction au fil des siècles, vont être étudiés…
P.D. : Oui. C’est le cas du plomb par exemple, qui a servi à la couverture de la cathédrale, mais aussi au maintien du verre des vitraux. Si des éléments de plomb ont été épargnés par l’incendie – ce dont il faudra s’assurer –, nous pourrons peut-être encore réaliser des études de provenance. Il faudra également traiter les problématiques environnementales posées par l’incendie et en particulier les éventuels risques de pollution au plomb aux alentours de la cathédrale. La pierre et les mortiers de Notre-Dame pourront aussi être étudiés, pour préciser les provenances et les gestes techniques. Par ailleurs, comprendre comment s’est comportée la pierre pendant l’incendie va permettre d’aider à la restauration de la cathédrale.
Comment toutes ces études de matériaux, coordonnées par le « chantier CNRS Notre-Dame », vont-elles faire intervenir les technologies développées par des laboratoires ?
P.D. : De nombreux laboratoires sont d’ores et déjà prêts à mettre à disposition leurs technologies et leurs compétences pour l’étude de Notre-Dame, et d’autres seront, à n’en point douter, identifiés prochainement. Il faudra dans les mois à venir coordonner ces propositions en fonction des besoins du chantier et de la pertinence des projets, et je ne donnerai ici que quelques exemples non exhaustifs. Pour prospecter le monument : drones, photogrammétrie ou encore Lidar4 pourraient être utilisés. Pour l’analyse des matériaux par différentes méthodes physico-chimiques (diffraction des rayons X, fluorescence X, Raman, LIBS5, etc.), des méthodologies adaptées aux matériaux anciens sont développées dans les laboratoires d’archéométrie tels que l’Institut de recherche sur les archéomatériaux.
Les études isotopiques qui servent à la détermination de la provenance pourraient être réalisées au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement6 dont les datations radiocarbone sur la plateforme ARTEMIS-LMC 147. Par ailleurs, l’étude de la charpente implique des laboratoires en bioarchéologie8 qui développent notamment des recherches en archéobotanique. À plus long terme et dans le cadre d’études plus fondamentales cela pourra aller jusqu’à l’utilisation de l’accélérateur Aglaé9 du C2RMF et des lignes de lumière du synchrotron Soleil10 pour réaliser, par exemple, des études des matériaux sous contrainte de température ou d’atmosphère, afin de comprendre les effets des agressions environnementales.
Quelle place la modélisation et le numérique vont prendre dans les projets de recherche ?
M.R. : Des relevés 3D ont été effectués sur la cathédrale. Ces données primordiales vont permettre d’obtenir un instantané de Notre-Dame juste après l’incendie, pour ne perdre aucune information.
P.D. : Et à cela vont se joindre toutes les archives que nous avons déjà sur les données spatiales, auxquelles nous allons ajouter des modélisations 3D et des résultats de mesures physico-chimiques anciens et à venir. L’idée serait ensuite d’imaginer un système qui combine à la fois ces données numériques spatiales et physico-chimiques. On pourrait, par exemple cliquer sur un endroit de la voûte dans la modélisation et obtenir toutes les informations sur le matériau. C’est un projet ambitieux qui pourrait être porté par le laboratoire Modèles et simulations pour l’architecture et le patrimoine11.
On devra aussi utiliser des données récoltées avant l’incendie à la fois par des chercheurs, mais aussi par des non-spécialistes, qui auront pris en photo la nef sous des angles particuliers, ce qui intéresse la restauration. C’est le principe du crowdsourcing, qui pourrait être réalisé par l’unité Archéovision12 avec l’aide du Consortium 3D et du TGIR Huma-Num13. Ces numérisations 3D vont permettre de documenter le chantier de restauration.
Justement, Emmanuel Macron promet une reconstruction en cinq ans. Comment l'initiative « chantier CNRS Notre-Dame » et la recherche en général vont-elles être impliquées dans la restauration ?
M.R : Concrètement, ce ne sont pas les scientifiques de cette initiative qui vont décider de l’organisation du chantier. Nous échangerons avec le responsable de chantier. Bien sûr, en lien avec le ministère de la Culture, nous pourrons également étudier le comportement et la robustesse des nouveaux matériaux qui seront utilisés pour la restauration.
P.D. : Et tous les résultats qui vont émerger du « chantier CNRS Notre-Dame » pourront aussi servir à de nombreux autres monuments gothiques ! Par exemple : comprendre la manière dont la pierre calcaire a brûlé à Notre-Dame pourra, on l’espère, servir de référentiel pour l’étude d’autres monuments qui ont aussi connu des incendies dans le passé. C’est une réelle opportunité pour faire émerger de nouvelles connaissances, mais aussi des méthodes d’étude innovantes et consolider la structuration des recherches interdisciplinaires autour des monuments anciens.
Lors du chantier de restauration, peut-on imaginer qu’il y aura également des fouilles archéologiques dans la cathédrale ?
P.D. : Les fouilles archéologiques sur les monuments anciens relèvent souvent des pratiques de l’archéologie du bâti. Mais dans le cas particulier du chantier de la cathédrale, on peut également imaginer d’autres approches archéologiques.
Par exemple, si des creusements doivent être réalisés pendant les travaux pour fonder des structures de soutènement provisoires, on pourrait envisager d’étudier par des fouilles archéologiques les fondations de Notre-Dame sur lesquelles on ne sait que très peu de choses ! D’autant plus que les travaux de restauration de Viollet-Le-DucFermerAchitecte français du XIXe siècle. n’ont probablement pas complètement détruit les anciennes fondations. Il y a encore beaucoup de choses à découvrir, mais toutes ces propositions devront être examinées prudemment et en collaboration étroite avec l’ensemble des spécialistes et des institutions évoluant autour de la cathédrale.
Les perspectives de recherches autour de Notre-Dame semblent donc vastes. Comment s’annonce la suite ? Quelles échéances vous fixez-vous ?
M.R. : Pour l’instant nous nous donnons cinq ans. Ce qui n’a rien à voir avec les annonces du Président, mais qui correspond classiquement à un projet de recherche quinquennal. Dans cinq ans nous espérons donc nous réunir autour d’un colloque pluridisciplinaire et de la publication d’un ouvrage de synthèse de tous ces travaux. La motivation des chercheurs est très grande. Nous espérons également que les résultats de ces travaux pourront servir pour prévenir d’autres drames du même genre, comme l’incendie de la cathédrale de Nantes en 1972 ou celui du Musée national du Brésil en septembre dernier. Les travaux sur Notre-Dame permettront, je l’espère, que cela ne se reproduise plus. ♦
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- 1. Philippe Dillmann est directeur de recherche CNRS à l’Institut de recherche sur les archéomatériaux (CNRS/Univ. technique de Belfort-Montbéliard/Univ. d’Orléans/Univ. de Bordeaux-Montaigne) et au Laboratoire archéomatériaux et prévision de l’altération (Nanosciences et Innovation pour les matériaux la biomédecine et l’Énergie - CNRS/CEA).
- 2. Martine Regert est directrice adjointe scientifique de l’Institut écologie et environnement du CNRS.
- 3. Comme le Laboratoire de recherche des monuments historiques, Centre de Recherche sur la conservation (CNRS/Muséum national d’histoire naturelle/ministère de la Culture) USR3224 (MC et CNRS).
- 4. Pour Light Detection and Ranging, « télédétection par laser ».
- 5. Pour Laser-Induced Breakdown Spectroscopy, «spectrométrie d'émission optique de plasma induit par laser».
- 6. Unité CNRS/CEA/Univ. de Versailles Saint-Quentin-en Yvelines/Institut Pierre-Simon-Laplace.
- 7. Laboratoire de Mesure du Carbone 14 (CNRS/CEA/Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire/ministère de la Culture/Institut de recherche pour le développement).
- 8. Comme le laboratoire d’Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements (CNRS/MNHM).
- 9. Pour Accélérateur grand Louvre d'analyses élémentaires.
- 10. Pour Source optimisée de lumière d’énergie intermédiaire.
- 11. Unité CNRS/ministère de la Culture.
- 12. Unité CNRS/Université de Bordeaux/Univ. de Bordeaux-Montaigne.
- 13. Pour Très grande infrastructure de recherche (Huma-Num : CNRS/Univ. d’Aix-Marseille/Campus Condorcet Paris-Aubervilliers).
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Léa Galanopoulo est journaliste scientifique indépendante.
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