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Avec le projet ACROSS : Make our air great again
Ce 15 juin, au dernier étage du bâtiment Lamarck B situé sur le campus de l’université Paris Cité, les scientifiques s’activent. Les appareils de mesure arrivent progressivement et doivent être calibrés avant de pouvoir recueillir les données. Les dates ont été choisies pour suivre les vagues de chaleur favorisant des pics d’ozone – un polluant particulièrement néfaste pour la santé humaine. Le 13 juin devait ainsi donner le coup d’envoi de la campagne Across (pour Atmospheric chemistry of the suburban forest) mais avec la hausse des températures de ces derniers jours, les instruments ont pris un coup de chaud : une partie du matériel a été affectée par plusieurs pannes, rapidement résolues. Aline Gratien, enseignante-chercheuse en chimie, membre du projet Across et co-responsable du site parisien qui étudie, au sein du Laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques1 (Lisa), le devenir du carbone organique est confiante : « Nous avons mis en route un système de climatisation spécifiquement adapté leur permettant de rester – presque – au frais. Cet épisode de canicule, qui va très certainement engendrer un fort pic de pollution sur la région parisienne, nous fournira des données intéressantes. »
En plus de la station météo comprenant l’anémomètre (qui prend la mesure du vent), tout un panel d’instruments ont été installés sur le toit du bâtiment pour mesurer les gaz et les particules du ciel parisien. Parmi eux, radars et Lidar2 détectent en temps réel les aérosols en suspension. Les instruments sont reliés par un enchevêtrement de lignes – dont une ligne en cuivre, rattachée à une tête PM13, pour la phase particulaire, et une autre en Téflon pour la phase gazeuse – à une salle informatique. Là, les scientifiques vont sonder minutieusement la nature des éléments recueillis, leur concentration et leur composition, et enregistrer ces données quotidiennement tout au long de la campagne.
Un projet inédit sur la qualité de l’air
Lancée à l’initiative du programme Make our planet great again4 (Mopga), et faisant partie des dix projets réunis au sein de l'initiative Paname 2022, la campagne Across vise à étudier la rencontre et le mélange de deux masses d’air, urbaine et péri-urbaine, pour en déterminer le rôle sur la qualité de l’air. Le projet est piloté par Christopher Cantrell, alors chercheur à l’université du Colorado, qui s’est rapproché dès 2017 du Lisa. Cinq ans plus tard, toute la communauté française de la chimie atmosphérique est impliquée, ainsi que plusieurs laboratoires internationaux et plus d’une vingtaine de partenaires5. Au total, Across réunit plus de 15 laboratoires et près de 120 scientifiques, ingénieurs, postdocs et étudiants. « Cette vaste entreprise n’aurait pas été possible sans le soutien d’un grand nombre de scientifiques de toute la France, de l’Europe et des États-Unis », souligne Christopher Cantrell, actuellement chercheur à l'université Paris-Est Créteil.
La campagne va permettre d’en savoir plus sur l’interaction entre le milieu urbain et les polluants atmosphériques engendrés par les activités humaines, et le milieu forestier et les molécules produites par les végétaux. Deux masses d’air qui ont des compositions très différentes. « Les oxydes d’azote et les composés organiques sont libérés dans l’atmosphère par les transports, l’industrie, la production d’énergie et d’autres sources. Ces composés interagissent avec la lumière du soleil pour produire des composés secondaires, notamment de l’ozone et des aérosols organiques, des substances secondaires nocives pour la santé humaine et qui peuvent également dégrader les rendements des cultures agricoles, poursuit le chercheur. Or, la transformation de ces émissions a souvent lieu en milieu rural, ce qui conduit à certains types de produits secondaires. »
Deux phases d’observation sont prévues : l’une au sol, qui s’étend sur six semaines en milieux urbains et péri-urbains. Des mesures seront effectuées à Paris, à l’observatoire de recherche atmosphérique du Sirta6 situé en plein cœur du plateau de Saclay, dans la forêt de Rambouillet où une tour de 40 mètres est équipée de ces mêmes capteurs, et sur un site de mesure à Orléans ; et l’autre en vol, du 16 juin au 7 juillet à bord d’un avion de recherche, l’ATR-42 de Safire7. Ce laboratoire volant, qui embarque nombre d’instruments (2,5 tonnes de matériel), effectuera un vol quotidien à basse altitude au sein du panache (300 mètres). Il permettra d’obtenir les mesures les plus précises possible. « L’objectif est ici d’explorer la structure verticale et horizontale de la chimie complexe de la pollution atmosphérique », indique Vincent Michoud, enseignant-chercheur au Lisa, copilote du projet et responsable du site de Rambouillet pendant la campagne. Across cherche ainsi à étudier si les produits secondaires sont différents lorsque l’air contenant des émissions urbaines se mélange à de l’air contenant des émissions biogéniques. « Si nous avons une bonne compréhension de ces masses d’air prises séparément, nous avons un manque de données, sur le terrain, pour étudier finement les réactions chimiques de leurs mélanges. Leur rencontre va-t-elle inhiber ou au contraire accélérer la formation de polluants ? Notre objectif principal est de le déterminer », explique Vincent Michoud.
Des données massives qui nécessiteront des années d’analyse
« Après des années de préparation, nous en sommes désormais au stade de l’observation. C’est une partie passionnante du projet mais c’est aussi un grand défi de travailler tous ensemble sur le terrain pendant des semaines. Une fois la campagne terminée, les données nous permettront de transformer des signaux bruts en quantités atmosphériques », s’enthousiasme Christophe Cantrell. Pour ce faire, les scientifiques disposent d’une plateforme pour déposer, stocker et agréger leurs données. Cette base de données sans précédent permettra l’amélioration et la validation des modèles de qualité de l’air ; dans un second temps, les chercheurs compareront ces observations avec leurs modélisations afin d’identifier les processus qui leur manquaient, et de pouvoir les affiner.
En pratique, les résultats de la campagne Across contribueront à mieux prédire les pics de pollution et guider les politiques publiques dans les mesures d’urgence – sur la circulation automobile alternée par exemple. En théorie, les scientifiques pourront ainsi tester de nouveaux scénarios pour améliorer l’urbanisme. « Mais ces données massives que nous récoltons aujourd’hui nécessiteront plusieurs années d’analyse avant de pouvoir en tirer des conclusions », souligne Aline Gratien.
Across est également partie prenante du programme Paname 2022, qui dénombre dix projets scientifiques pour l’étude de la qualité de l’air et le climat urbains. Il est mené en parallèle avec d’autres programmes qui s’appuieront sur les données produites par le site parisien comme H2C, sur les effets de la chaleur et de la pollution atmosphérique sur la santé humaine, et Street, sur la réponse des arbres parisiens au stress urbain et les conséquences induites sur la qualité de l’air. ♦
- 1. Unité CNRS/Université Paris Cité/Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne.
- 2. La technologie LiDAR (LIght detection and ranging) est une technologie de télédétection par laser qui fonctionne sur le même principe que pour le radar mais utilise des ondes lumineuses plutôt que des ondes radio.
- 3. Les particules fines PM1 (dont le diamètre est inférieur ou égale à 1 micromètre) sont parmi les plus dangereuses pour la santé humaine.
- 4. Mopga est un programme prioritaire de recherche piloté par le CNRS, invitant des chercheurs du monde entier à rejoindre la France pour y mener des recherches sur le changement climatique suite à la décision des États-Unis de sortir de l’Accord de Paris.
- 5. Les partenaires du site de Paris : Lisa (Paris), Ircelyon (Lyon), LCE (Marseille), LSCE (Paris), LMD (Paris), Mairie de Paris (Paris), CNRM (Toulouse) and Harvey Mudd College (Californie). Cf. https://across.cnrs.fr/across-participants-and-partners/
- 6. Le Site instrumental de recherche par télédétection (Sirta) est un observatoire fondé en 1999 à l’initiative de l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL – Fédération de Recherche du CNRS). Sa rénovation récente a été coordonnée par le CNRS, l’École polytechnique et la Région Ile-de-France.
- 7. Safire pour Service des avions français instrumentés pour la recherche en environnement, fondé par le CNRS, Météo-France et le Cnes.
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Auteur
Anne-Sophie Boutaud est journaliste à CNRS Le journal.