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Les forêts à la traîne du réchauffement
En vingt ans, le réchauffement climatique a induit une augmentation de 1 °C des températures en France. Pour survivre, certaines espèces animales et végétales doivent migrer vers le nord et les sommets plus froids pour y trouver des températures qui leur conviennent mieux.
Cependant, plusieurs études récentes ont mis un fait en évidence : les animaux et les plantes ont pris du retard sur le thermomètre dans cette migration vers le nord. C’est le phénomène de « dette climatique ».
Ainsi, lors d’une étude publiée en 20111, Romain Bertrand2 – alors doctorant à AgroParisTech –, et ses collègues ont observé que, dans les plaines, les communautés de plantes herbacées forestières (ensemble de plusieurs espèces : orchidées, jacinthes…) étaient adaptées à des températures en moyenne 1 °C plus froides que les conditions climatiques où elles poussaient. Ce qui signifie que ces végétaux n’ont pas migré vers le nord quand les températures ont augmenté dans leurs habitats.
Une menace pour la biodiversité
Or, à terme, cette dette climatique peut conduire à l’extinction, locale puis globale, des espèces qui n’auront pu suivre vers le nord le déplacement des conditions climatiques qui leur sont favorables. D’où l’importance de stopper ce phénomène, ou du moins de le freiner. Et, de comprendre les processus l’induisant.
Lors de leur nouvelle étude, qui vient de paraître dans la revue scientifique Nature Communications3, Romain Bertrand et ses collègues ont exploré les mécanismes à la base de la dette climatique constatée dans les forêts françaises en 2011. Pour ce faire, ils ont testé 23 processus écologiques pouvant avoir un impact sur la réponse des espèces au changement climatique (processus liés à des contraintes environnementales et à la capacité de migration et de résistance des espèces).
la dette climatique,
il faudrait une
arrivée d’espèces
adaptées à des
températures
encore plus
chaudes.
Il est apparu que le facteur amplifiant le plus la dette climatique est l’existence, avant la survenue même du réchauffement climatique dans les zones concernées, de températures déjà élevées. Comme cela est le cas dans les forêts du pourtour méditerranéen.
« Pour réduire la dette climatique dans ces zones, il faudrait une arrivée d’espèces adaptées à des températures encore plus chaudes, venant par exemple d’Espagne ou d’Afrique du Nord. Or une telle migration est limitée par des barrières géographiques (montagne, mer) et la grande distance entre les forêts du sud de la France et celles des pays voisins plus chauds », développe le biologiste Romain Bertrand.
Les plantes résistent plus qu’elles ne migrent !
Le second grand facteur favorisant la dette climatique est la capacité, sous-estimée jusqu’ici, des plantes à supporter les variations du climat ; ce qui leur permet de survivre dans un lieu où les conditions climatiques ne leur sont pas favorables.
Point très important : alors que jusque-là plusieurs études avaient suggéré une migration rapide des espèces vers le nord, les chercheurs ont observé qu’en fait les plantes herbacées forestières persistent plus qu’elles ne migrent.
Pour l’heure, cette qualité de persistance est bénéfique aux végétaux : elle leur permet de résister au réchauffement malgré leur faible migration. « C’est là un résultat très novateur. Il pousse à examiner de plus près cette aptitude de persistance, qui est somme toute encore assez peu étudiée », commente Romain Bertrand.
En revanche, à terme, cette qualité pourrait devenir très problématique. Car, avec l’accélération du réchauffement prévue d’ici à 2100 (+ 1,6 à 4,9 °C entre 2091-2100 contre + 1 °C ces vingt dernières années), cette persistance risque de ne plus suffire pour contrebalancer la hausse des températures… Conséquences, les espèces qui résistent actuellement risquent de disparaître purement et simplement.
Quelques pistes pour freiner la dette climatique
L’étude apporte aussi quelques renseignements importants sur l’impact des activités humaines sur la dette climatique. Elle a notamment révélé que certaines pratiques peuvent induire des pressions supplémentaires sur la végétation, contribuant ainsi à accroître la dette climatique. Parmi celles-ci : l’ouverture du couvert forestier sous l’effet de coupes et la fréquentation des forêts par l’homme.
« Les coupes dans les forêts induisent un plus grand ensoleillement du sous-bois, ce qui augmente les températures ; et les hommes via leurs déplacements et leurs autres activités peuvent perturber la végétation. Tout cela semble interférer dans la réponse des plantes face au réchauffement climatique », explique le chercheur.
Si la problématique du changement climatique est aujourd’hui prise en compte dans la gestion forestière, ces résultats poussent à davantage d’efforts pour minimiser les risques sur l’écosystème forestier.
Mais il ne s’agit là que de premières suggestions. En effet, « la question de comment freiner la dette climatique nécessite des investigations supplémentaires ».
- 1. « Changes in plant community composition lag behind climate warming in lowland forests », Romain Bertrand et al., Nature, 2011, vol. 479 : 517-520.
- 2. Centre de théorie et modélisation de la biodiversité, Station d’écologie théorique et expérimentale, à Moulis (CNRS/UPS).
- 3. « Ecological constraints increase the climatic debt in forests, Romain Bertrand et al., Nature Communications, 2016, vol. 7 (12643).
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Auteur
Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.