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Le port antique de Rome revit grâce au virtuel
Le port antique de Rome, le Portus, fut le plus grand port du monde méditerranéen antique. Il y a deux millénaires, son bassin s’étalait à perte de vue sur le delta du Tibre. Mais voilà : au fil des siècles, il a été progressivement comblé et recouvert par les sédiments charriés par la mer et le Tibre. Puis la ville moderne de Fiumicino et l’aéroport international Leonardo-da-Vinci sont venus s’implanter sur ses vestiges, rendant ainsi à jamais impossible les fouilles archéologiques…
Heureusement, grâce à la magie du virtuel, une équipe de géoarchéologues et d’océanographes a réussi à déblayer l’immense bassin et à le rouvrir à la circulation de l’eau et des sédiments1 ! « Pour la première fois, le bassin portuaire antique de Rome s’est remis virtuellement à fonctionner. Grâce à cette opération, nous avons pu résoudre une ancienne énigme sur la circulation de l’eau dans ce bassin », indique l’océanographe marseillais Bertrand Millet2, coauteur de cette étude.
Grand comme… 275 terrains de foot !
Situé à 32 kilomètres à l’ouest de Rome, le Portus a été construit à partir de l’an 42 apr. J.-C. par l’empereur romain Claude pour ravitailler la capitale antique en blé provenant du nord de l’Afrique. Atteignant à l’époque une profondeur record de 13 mètres par endroits, son bassin s’étendait sur 200 hectares… soit 275 terrains de foot ! Contre seulement un demi-hectare pour les ports antiques de classe moyenne.
La structure globale du Portus est connue depuis plus de 400 ans déjà. Depuis que le cartographe italien de la Renaissance Antonio Dante en proposa une première reconstitution, qu’il peignit sur une grande fresque dans la Galerie des cartes géographiques du Vatican. Mais jusqu’ici subsistait une grande inconnue : les chercheurs ignoraient pourquoi le grand port était doté de deux entrées ou passes : une principale, à l’ouest, par où entraient et sortaient les navires, et une secondaire, au nord-est.
Les scientifiques avaient cependant déjà émis une hypothèse. Lors d’une étude publiée en 2010, l’équipe du géoarchéologue lyonnais Jean-Philippe Goiran3, également coauteur de la nouvelle étude, avait montré que le Portus avait un grand défaut : sa partie ouest et surtout sa partie centrale, par où transitaient les navires allant vers les quais, s’ensablaient progressivement. D’où l’idée que la passe au nord avait été construite pour favoriser le désensablement du port via la création d’un courant traversant tout le bassin, capable de remettre en mouvement et d’évacuer le sable accumulé.
Le numérique à la rescousse
C’est pour tester cette théorie que les chercheurs ont mené une nouvelle étude. Pour ce faire, ils ont eu l’idée de créer virtuellement une deuxième passe au nord du bassin, puis de la fermer (toujours virtuellement), afin d’étudier les effets de cette ouverture-obstruction sur les mouvements des masses d’eau dans le bassin.
En pratique, l’équipe a utilisé un modèle numérique qui a fait ses preuves ces trente dernières années sur de nombreux autres bassins portuaires anciens et actuels, comme le Lacydon à Marseille ou encore le port antique d’Alexandrie. « Notre outil est ce que l’on appelle un modèle bidimensionnel horizontal moyenné sur la verticale : il calcule les vitesses de déplacement des différentes masses d’eau moyennées sur la colonne d’eau. Et ce en fonction de certaines conditions de forçage, comme la direction et l’intensité du vent, ou l’ouverture ou la fermeture d’une passe », précise Bertrand Millet.
Une seconde entrée pour désensabler le port
En définitive, le modèle a fourni une cartographie en 2D de la circulation de l’eau, visualisée par un ensemble de flèches. Lesquelles indiquent les directions et vitesses du courant à travers tout le bassin. Et, bingo ! Il est apparu que, lorsque la passe nord était ouverte, le vent nord-est 22° d’hiver induisait une très intense circulation traversant tout le bassin, capable de transporter les sédiments qui se déposaient progressivement le reste de l’année au centre et à l’ouest du bassin. Ce qui confirme l’idée que les ingénieurs antiques avaient volontairement provoqué l’ouverture au nord dans le but précis de protéger le port d’un ensablement trop rapide.
Autre résultat important : l’étude montre aussi que l’ouverture au nord n’a fait que limiter, et non stopper complètement, l’ensablement. De fait, il s’est avéré que, sous l’effet du vent dominant de sud-ouest 247° qui soufflait au-dessus de Portus en hiver et en été, la circulation induite continuait de favoriser le dépôt de sédiments dans toute la partie ouest du domaine. Voilà pourquoi, malgré l’ouverture au nord, le Portus a été peu à peu envahi par le sable. Jusqu’à disparaître complètement…
- 1. « Hydrodynamic Modeling of the Roman Harbor of Portus in the Tiber Delta : The Impact of the North-Eastern Channel on Current and Sediment Dynamics », B. Millet, H. Tronchère et J.-P. Goiran, Geoarchaeology, 2014, vol. 29 (5) : 357-370.
- 2. Institut méditerranéen d’océanologie (CNRS/Aix-Marseille Univ./Univ. de Toulon).
- 3. Laboratoire Archéorient de la MSH Maison de l’Orient et de la Méditerranée (CNRS/Univ. Lumière Lyon-II).
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Auteur
Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.