Donner du sens à la science

Lalibela, merveille fragile d'Éthiopie

Dossier
Paru le 06.09.2024
Le tour du patrimoine en 80 recherches
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Lalibela. On l’appelle la Jérusalem d’Ethiopie. Un site d’une incroyable complexité faite de tranchées et de galeries. Des salles majestueuses attirant les fidèles de tout le pays. Le tout creusé dans la roche volcanique des hauts plateaux éthiopiens et s’articulant autour de onze églises monumentales.

 

Selon l’histoire locale, le roi Lalibela aurait fait creuser le site sous sa forme actuelle à la fin du 12ème siècle. Après 24 ans de travaux, il en aurait fait le centre de son royaume chrétien.

L’historienne Marie-Laure Derat et son équipe, étudient ce vaste complexe depuis plus de dix ans. Et leurs recherches semblent indiquer que l’histoire serait en fait bien plus riche...

 

ITV MarieLaure

On a repéré des anomalies - des choses qui logiquement ne devraient pas exister. Par ici on a une anomalie qui est assez typique, c’est qu’on a un escalier qui a été creusé, et évidemment, il n’a pas été creusé pour déboucher dans le vide avec plusieurs mètres de vide au bout. Donc pour que cet escalier soit compréhensible, il faut estimer qu’il y avait un sol au bout de cet escalier et sans doute une cour totalement pleine ici qui permettait d’accéder de part et d’autre de cet espace totalement détouré, creusé.

De la même manière, si on voit sur cette façade en face, on voit des traces d’outils et des traces d’érosion très important, et en fait cette érosion très importante elle n’existe que s’il y a un niveau de sol qui vient toucher les piliers et que les piliers prennent l’effet splash de l’eau qui tombe le long de ce sol…

Donc ça ce sont des indices, on en a d’autres partout sur le site.

 

Confirmer ces étapes successives de creusement fait partie des grandes priorités pour comprendre l’histoire de Lalibela sur le temps long. Mais le fait même que le site ait été façonné par excavation et non pas construction pose de nombreux défis aux archéologues qui souhaitent retracer son passé...

 

ITV Romain

Vu qu’ils creusent des églises, ce site est un anti-site archéologique. C’est à dire que l’on n’a pas de stratigraphie conservée, évidemment, puisqu’au fur et à mesure qu’ils creusent, ils effacent les traces antérieures...

 

Les traces sont effacées au niveau des églises. Mais chaque creusement a créé de grands volumes de déblais… des matériaux qui se sont accumulé au fil des étapes, jusqu’à former des collines un peu partout sur le site. Des collines qui peuvent, quant à elles, être fouillées... 

 

ITV Romain

On a pu observer deux apports de déblais dans ce grand tas. Le substrat avait un très grand pendage. Tous les débris provenant d’un premier creusement de l’église suivait parfaitement bien ce pendage. Après on a un arrêt de l’apport de ces débris, la formation d’un sol, c’est un sol qui peut être tout à fait naturel, il suffit en fait de laisser la végétation progresser, du coup quand ça s’enfouit, ça fait un sol organique, qu’on repère très très bien lorsque l’on nettoie après, et après ce niveau de sol, on a une reprise d’apport de débris qui nous prouve qu’il y a une deuxième phase de creusement des églises. Donc quand on est arrivé sur le site, nos hypothèses sur le phasage du site avaient trouvé une résonnance dans ces tas de déblais puisque l’on a pu trouver deux phases d’apports de débris qui pouvaient correspondre à deux phases de creusement de l’église…

 

Non seulement cette colline de déblais renferme des indices expliquant les phases de creusement des monuments… elle a également caché, pendant des centaines d’années, les vestiges d’une occupation bien plus ancienne qui semble tout aussi monumentale. Ces grands blocs qui émergent sur le côté du remblais dateraient de deux siècles avant le règne du roi Lalibela et la fondation de ses églises. Toute une histoire du site qui reste encore à écrire...

 

ITV Marie-Laure

Disons que quand on fait des murs avec des blocs aussi énormes, on les élève très très haut. Sinon ça n’a pas de sens de faire des murs qui vont faire deux-trois niveaux. Ca n’a vraiment aucun sens. Donc vraisemblablement c’était très très haut. Jusqu’où, on ne sait pas. Et surtout l’autre information qu’on réalise, c’est que si les blocs sont de si grosse taille, ca veut dire vraisemblablement qu’ils ont été débité sur place. Donc potentiellement on n’aura pas accès à la roche mère, au bedrock, sous le tas de déblais, mais plutôt à déjà des aménagements du rocher lié au débitage des blocs et puis sans doute à des aménagements et de l’occupation. 

 

Les  travaux de recherche de Marie-Laure et son équipe s’inscrivent dans un projet de coopération franco-éthiopienne qui vise non seulement à comprendre longue histoire de Lalibela, mais également à protéger ce site inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco.

Un des programmes phare de cette coopération : la numérisation du site. 

Pour créer la copie numérique de Lalibela dans toute sa complexité, les ingénieurs d’Archéovision, spécialistes du patrimoine, visitent chaque galerie, chaque salle pour en photographier les moindres recoins.

Séquence photos.

La géométrie de chaque lieu est également relevée grâce à un scanner laser.

 

Les endroits en hauteur quant à eux sont photographiés grâce à un drone.

 

Toutes ces données permettent de créer le modèle 3D de Lalibela… extérieur, comme intérieur…

 

ITV Loïc

L’idée, c’est déjà d’avoir un état des lieux du site à un instant donné. C’est très important parce que justement, c’est un site qui évolue dans le temps et qui va évoluer en fonction de la conservation que l’on va pouvoir en faire.

 

Ambiance Loïc devant l’ordinateur

On a des fantômes des gens qui sont passés pendant la numérisation. C’est pas très grave - après c’est un boulot de nettoyage qu’il y a à faire dans le modèle. Mais par contre, à partir de ça, on peut travailler sur des coupes - donc là on a une coupe du bâtiment - qu’on peut déplacer… 

 

ITV Loïc

Donc ça sert à pouvoir travailler sur ces données là quand on n’est plus sur le site déjà, et puis voir des choses qu’on va pas forcément voir - on voit les peintures qui vont être plus difficiles à voir quand on est dans l’église avec la lumière qu’il y a dans l’église, - donc on peut amener une meilleur lisibilité de certains éléments et puis une vision globale de tout le site…

 

Ambiance Scanner

 

ITV Loïc Espinasse

L’idée, c’est déjà d’avoir un état des lieux du site à un instant donné. C’est très important parce que c’est un site qui évolue dans le temps et qui va évoluer justement en fonction de la conservation que l’on va pouvoir en faire donc c’est important déjà d’avoir un instant T. Et ça sert à pouvoir travailler sur ces données là quand on n’est plus sur le site, et puis à voir des choses que l’on ne va pas forcément voir… on voyait les peintures, les relevés de peintures, qui vont être plus difficiles à voir quand on est dans l’église, avec la lumière qu’il y a dans l’église, donc on va pouvoir amener une meilleure lisibilité de certains éléments et puis une vision globale en fait de tout le site. 

 

Ces travaux de recherche se poursuivront encore pendant de nombreuses années - en parallèle aux efforts déployés pour assurer la conservation de ce patrimoine sacré, et fragile. Un nouveau chapitre qui vient s’ajouter à la longue et complexe histoire de Lalibela… qui n’a pas fini de traverser les âges...

 

Lalibela, merveille fragile d'Éthiopie

03.02.2020

Onze églises taillées dans la roche, des siècles d'histoire et des mystères qui restent entiers... Un ambitieux programme de recherche tente de comprendre le passé complexe de Lalibela, le plus grand site chrétien d'Afrique, situé en Éthiopie. Des études qui serviront également à préserver ce patrimoine fragile pour les générations futures.

À propos de cette vidéo
Titre original :
La cité creusée dans la roche
Année de production :
2020
Durée :
7 min 31
Réalisateur :
Nicolas Baker
Producteur :
CNRS Images
Intervenant(s) :
Marie-Laure Derat (CNRS)
Laboratoire Orient et Méditerranée
CNRS / Université Paris-Sorbonne / Université Panthéon-Sorbonne 
École Pratique des Hautes Études / Collège de France   

Romain Mensan
TRACES
CNRS / Université de Toulouse Jean Jaurès
Ministère de la Culture / Inrap

Loïc Espinasse 
Archéovision
CNRS / Université de Bordeaux
Université de Bordeaux Montaigne
Journaliste(s) :

Commentaires

3 commentaires

Bonjour, vos articles sont toujours intéressants, si ce n'est la "musique idiote et forte" sur le discours, ce qui nous empêche de voir et d'écouter un discours sereinement et confortablement. Vous parlez de stress, mais notre société humaine, passe son temps à nous saouler de musique misérable laquelle nous bloque et nous contraint à ne plus voir correctement. Quant à la surcharge d'individus, animaux, les animaux savent réguler leur population ! Seuls les humains continuent à procréer sans se soucier de la "surpopulation" et de ses conséquences sur l'environnement et sur l'impossibilité de contrôler ce monde en expansion humaine. Si nous avons des problèmes d'écologie et de survie, c'est "à cause de la surpopulation humaine, laquelle pollue tout et accuse l'autre ! Mais qui donc ? Regardez ce qu'est cette société d'humains du 21ème siècle ! Et, comme personne de veut se charger de "contrôler les naissances" pour obtenir un meilleur partage de vie, alors nous allons vers la catastrophe. Ces petits rongeurs en sont une belle observation ! Merci pour cet article. JM
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