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Un double numérique pour Notre-Dame

Dossier
Paru le 06.09.2024
Le tour du patrimoine en 80 recherches

Un double numérique pour Notre-Dame

15.10.2019, par
Temps de lecture : 7 minutes
Nuage de points de la cathédrale, résultat de campagnes de numérisation 3D réalisées par Art Graphique & Patrimoine (AGP) avant l’incendie.
Créer une sorte de Google Earth de la cathédrale de Paris, tel est l’ambitieux projet d’une équipe de chercheurs. Leur objectif : regrouper au sein d’une plateforme collaborative la totalité des connaissances passées et à venir sur l’édifice.

« La restauration de Notre-Dame de Paris sera un chantier historique. » Et Livio de Luca, directeur du laboratoire Modèles et simulations pour l’Architecture et le Patrimoine1 (MAP) et lauréat 2019 de la médaille de l’innovation, ne souhaite pas que cette histoire se perde à nouveau dans les flammes. « Nous allons créer un système d’information intégrant toutes les données scientifiques et techniques sur la cathédrale », explique-t-il.

Le groupe de travail qu’il coordonne s’apprête ainsi à en réaliser une sorte de « double numérique » rassemblant tout ce que l’on sait de l’édifice, des croquis de construction jusqu’au relevé 3D de son état actuel, et qui sera capable d’intégrer toute information à venir. En fait de simple réplique en images de synthèse, il s’agit donc plutôt de construire une base de données et de connaissances inédite. « Grâce à elle, poursuit-il, les différentes équipes du chantier pourront partager leur expertise et prendre in fine de meilleures décisions ».

Réunir les coordonnées 3D

Concrètement, les différents corps de métier et les équipes scientifiques de toutes disciplines disposeront d’une interface à la manière de « Google Earth2 », entièrement dédiée à Notre-Dame.

On pourra cliquer sur une zone de la charpente et en obtenir toutes les informations : datations, analyses sur les restes carbonisés, données 3D numérisées...

« En plus de la dimension spatiale permettant d’interroger les moindres recoins de la cathédrale, les utilisateurs auront aussi accès à tout son historique », explique-t-il. Comme si Google Earth permettait de visualiser l’évolution d’une ville au fil des siècles… « Notre système offrira ainsi différentes échelles d’observation au fil du temps : il pourra s’agir de photographies, informant sur l’apparence des structures à un moment donné, comme de résultats d’analyses (physico-chimique notamment) ponctuelles et très localisées, ou encore de numérisations 3D, complètes ou partielles, de la cathédrale », souligne-t-il.

« Au final, on pourra par exemple cliquer sur une zone de la charpente et en obtenir toutes les informations connues : les datations dendrochonologiquesFermerLa dendrochronologie est une méthode de datation du bois à partir des cernes (anneaux) des arbres. précédentes, les analyses à venir sur les restes carbonisés, les données 3D d’un relevé numérique, etc. »

Visite de la « forêt », capturée par AGP en 3 à 5 milliards de points.

À propos
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Description: 
Charpente de Notre-Dame - Art Graphique & Patrimoine - Voyage dans le nuage de points
Année de production: 
2019
Durée: 
0' 52"
Producteur: 
Art Graphique & Patrimoine

Pour ce faire, il faudra notamment réunir les dizaines de milliards de coordonnées 3D, nuages de points décrivant les moindres détails de la surface, déjà mesurés lors de différentes campagnes de numérisation. Le maillage le plus complet de l’édifice avant incendie, riche d’un milliard de points, a été réalisé en 2010 par l’historien américain Andrew Tallon à l’aide d’un laser. En 2014, une cartographie 3D, combinant des scan lasers et de la photogrammétrieFermerTechnique permettant de déterminer les dimensions et volumes des objets à partir de mesures effectuées sur des photos les montrant sous différentes perspectives., a également été effectuée par la société Art Graphique et Patrimoine (AGP) pour capturer l’intégralité de la charpente, l’emblématique « forêt » ravagée en avril. La plus récente est celle réalisée juste après l’incendie, également par AGP.

Le maillage le plus complet de l’édifice avant incendie, riche d’un milliard de points, a été réalisé en 2010 par l’historien américain Andrew Tallon à l’aide d’un laser.

Enfin, d’autres données 3D sont également en cours d’intégration à partir d’une collecte participative de photos lancée par la start-up Iconem. « Toutes les données seront utiles, y compris des photos de touristes, même si elles ne seront pas toutes utilisées de la même manière », insiste Livio de Luca qui espère finaliser rapidement les multiples conventions de partage des données avec l’ensemble des organismes privés et publics, ainsi que leur archivage pérenne – notamment grâce au consortium 3D SHS3 et au consortium Mémoire des archéologues et des sites archéologiques (MASA) de la très grande infrastructure de recherche Huma-Num4.

Nuage de points de Notre-Dame vue de haut (résultat de campagnes de numérisation 3D réalisées par AGP).
Nuage de points de Notre-Dame vue de haut (résultat de campagnes de numérisation 3D réalisées par AGP).

Rassembler ces données au sein d’une même « arche numérique » est un enjeu historique. Véritable archive de pierre, de bois et de vitraux, Notre-Dame illustre les savoir-faire qui se sont succédé sous ses voûtes ou au pied de ses tours depuis huit cent cinquante ans. Chacun des choix architecturaux de sa construction se lit dans la courbe singulière et subtile de ses piliers, là dans les élégantes proportions des travées, ici dans la courbure des voussures, ou là encore dans le contour sidérant des rosaces… Connaître et conserver toutes ces innovations techniques et architecturales, c’est pouvoir à tout moment faire renaître la magie d’un tel lieu, quand bien même le feu ou la lente érosion des siècles l’a effacée à nos yeux.

Dompter les données

L’ambition du logiciel (dont une partie sera accessible au grand public) est donc avant tout de fédérer les donnéesFermerTraitement permettant de rassembler plusieurs banques de données hétérogènes via un modèle commun aux yeux de l’utilisateur. au sein d’une même base. Et c’est bien là l’un des défis majeurs du projet : ne pas se cantonner à un simple dépôt numérique mais « relier tous ces documents entre eux, à la fois dans le temps, dans l’espace et sur le plan sémantique », souligne Livio de Luca.
 

Aïoli, plateforme d’annotation 3D réalisée par le MAP.

À propos
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Année de production: 
2019
Durée: 
4'04"
Producteur: 
MAP

Des listes de mots-clés, « étiquettes » ultra-précises, permettront notamment d’établir une taxonomie de la totalité des concepts (matériaux, techniques de construction, motifs architecturaux, etc.) afin, par exemple, de trouver instantanément des correspondances entre un type d’usure de la pierre et celle de tel arc ou telle rosace construite selon telle technique, et ce au fil des époques.

Connaître et conserver toutes ces innovations techniques et architecturales, c’est pouvoir à tout moment faire renaître la magie d’un tel lieu.

De quoi faciliter les analyses rétrospectives qui seraient impossibles autrement. Et, pourquoi pas, générer des modèles en vue de prévenir d’éventuels risques structurels de l’édifice. Pour bâtir tous les aspects de cette application, l’équipe du MAP peut s’appuyer sur son expérience unique forgée sur de nombreux projets de documentation numérique du patrimoine architectural (comme la plateforme Aïoli, voir la vidéo ci-dessus). Ces briques logiciels serviront de piliers et devraient faciliter la gestion, l’annotation et la visualisation 4D (spatiale et temporelle) de cette masse de données.

Surtout, Livio de Luca souhaite que cette plateforme collaborative permette de « mémoriser les processus d’analyse et d’interprétation conduits par toutes les personnes impliquées dans ce vaste chantier. » Cela pourrait permettre de réaliser une documentation des modes d’intervention sur la cathédrale et, à l’avenir, de mieux coordonner les efforts de restauration. Et d’un point de vue anthropologique, cette documentation inédite devrait offrir aux chercheurs un matériau précieux pour comprendre la manière dont les scientifiques et les professionnels s’organisent pour étudier et préserver le patrimoine architectural. Un chantier numérique littéralement historique s’ouvre donc avec celui de la restauration de Notre-Dame de Paris. ♦
 

Cet article est issu du dossier « Notre-Dame : cathédrale de la recherche », publié dans le dernier numéro de CNRS Le Journal

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Notes
  • 1. Unité CNRS/Ministère de la Culture.
  • 2. Application permettant d’explorer la Terre.
  • 3. Unité CNRS/Huma-NUM/Archéovision.
  • 4. Unité CNRS/Aix-Marseille Université/Campus Condorcet Paris-Aubervilliers.